Les éditions Bouclard publient en cette fin d’année un objet insolite et très beau, un ensemble de trois petits livres autour de Fabien Loris, artiste du premier XXe siècle, trop peu connu et qui pourtant appartient avec force à l’histoire la plus vive des avant-gardes. Au programme : dessins, collages, photographies, poèmes, et une très belle introduction à son travail, signé Patrice Allain, bref, il y a à voir et à lire, et c’est précieux.

Album, de Fabien Loris, aux éditions Bouclard est avant tout un objet, un coffret, une pièce d’art, d’une extrême et délicate beauté. L’ensemble est composé de trois pièces :

  • Empreintes et cicatrices d’un art cruel, Essai monographique autour de Fabien Loris, par Patrice Allain, spécialiste du surréalisme, entre autres, et notamment de Jacques Vaché,
  • Album, ce carnet de Loris, collages, dessins, photographies,… un document unique, édité pour la première fois, en dehors de l’exemplaire de l’auteur – Le Pays du cul,
  • Réveils-matin, suivi de poèmes inédits, livret de poèmes inédits de Loris.

On comprend alors très vite combien, au-delà même de la beauté de l’objet, se joue là également une précieuse mise en lumière d’un incroyable artiste. Trois petits livres donc, trois objets superbes, dans un coffret poétique, dispositif si singulier qu’il laisse étourdi lorsqu’on l’ouvre, en retirant délicatement le bel étui transparent.

Loris, donc, artiste intempestif et intransigeant, apparaît ici dans toute une pluralité à même de le faire connaître au plus grand nombre, de ses dessins pleins d’humour et de poésie à ses poèmes qui n’ont rien à envier aux plus déroutants textes et aux innovations de son époque. Ainsi peut-on lire une sensible ode à l’amour dans un « Duo » tout personnel, déclaration amoureuse et assoiffé à Hémoglobine – quel projet !

« Je te ferai des enfants sublimes

de ceux qui marchent de guingois

et qui ont le front qui décline

jusqu’au sol, et les pieds froids. »

Ou plus loin, une tout autre invitation, car Loris a sa place, et il faut la dire :

« Bénir de l’œil et du geste

panser les sentiers battus

être acide comme zeste

haïr les ba-be-bi-bo-bu-

peigner à rebrousse poils

les pégases des dorénavants

alourdir sa démarche en se plombant les dents. »

Car l’œil comme le geste sont des promesses de la poésie, exposition de l’éclat sensible dans le voir et du devenir dans le geste.

« Poussez la brouette de la médiocrité

sous les saules pleureurs qui protègent la tête

du soleil trop chaud, des froids giboulées ;

la pause sur un brancard, permis les jours de fête. »

et les poèmes, tour à tour sensibles, ironiques, drôles, incisifs se succèdent ainsi dans le petit recueil de déroutants inédits. C’est à Patrice Allain que l’on doit une approche importante et précieuse à son tour du travail de Loris, dans un autre livret du dispositif, qui témoigne de la place de l’artiste, de ses liens avec les milieux artistiques et politiques aussi.

« Au milieu des années vingt, il fréquente les milieux anarchistes et révolutionnaires. Ses premiers dessins publiés sont des caricatures anti-flics ou anti-militaristes à destination de quelques périodiques satiriques et d’obédience subversive. »

Loris, dont l’art est aussi et surtout politique, dans un jeu qui démasque et se moque aussi pour la jouissance de la création et sa gratuité révolutionnaire, car enfin il « adopte un humour désinvolte dont la société mondaine fait gentiment les frais. » Loris, qui travaille avec force l’image, pour un « fantastique du quotidien », au sein notamment de son « Théâtre de l’épouvante », expérience artistique et expérimentale.

De gauche, fondamentalement anti-fasciste, il est de ceux qui pensent la politique avec ébullition dans ce premier XXe, croisant notamment la grande Contre-Attaque. Bref, un artiste qui nous rappelle l’importance du renversement, qui nous rappelle aussi la puissance et l’inventivité d’une époque pleine de rêves artistiques pour faire éclater l’enlisement bourgeois. Bref, un objet d’un grand soin, d’une beauté subtile, regardez-lire, ou lisez-voir !