Au cinéma en 2022, nous nous sommes remis à parler. Pourtant, le langage semble vicié dans le somptueux Pacifiction, comme s’il avait été contaminé par une maladie politique. Chez Hamaguchi, nous avons contemplé la puissance enivrante du récit, au gré de conversations qui tissent des liens entre les êtres, tandis qu’on babille dans Chronique d’une liaison passagère pour éviter les mots trop grands et trop lourds qui minent le discours amoureux. Pour Laurence Colly et les jurés de Saint Omer, la parole a un pouvoir fabulateur et transcende les frontières entre le vrai et le faux.

Au cinéma en 2022, nous avons pris conscience de la persistance des formes, des genres et des figures qui ont façonné des mondes et élargi le champ de nos expériences possibles. Repoussées les limites du ciel dans Top Gun : Maverick, brouillées les frontières entre le monde terrestre et le monde aquatique dans Avatar 2, tombés les murs entre la vie réelle et la vie rêvée dans Trois mille à t’attendre. Avec Les Crimes du futur et dans la nuit éternelle de Vitalina Varela, on s’est pris au jeu de la divination pour imaginer le cinéma d’après-demain dans lequel même le silence est éloquent. 

Enfin, difficile de ne pas évoquer l’événement le plus marquant de cette année, la disparition de Jean-Luc Godard, dont l’empreinte laissée sur certains films que nous avons tant aimés cette année (Pacifiction en tête) prouve que son oeuvre figure parmi les plus influentes de toutes les histoires du cinéma.

1 – Pacifiction de Albert Serra

La paranoïa qui suinte par tous les pores du nouveau film d’Albert Serra représente bien la peur grandissante de l’humanité. De Roller, visage transpirant et veste trop étroite, semble traverser le cadre avec l’assurance que notre existence ne tient plus qu’à un fil, ce qui ne l’empêche pas de piétiner allègrement cette année 2022 et d’emporter avec lui tous les éloges que nous gardions en réserve. 

Théodore Anglio-Longre

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2 – Contes du hasard et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi

Trois couples qui se cherchent. Dans des décors souvent minimalistes, Hamaguchi met en scène des rencontres inopinées entre deux êtres que tout sépare. Dans ce triptyque, on discute, on flirte, on se dispute. Un poème en trois temps.

Romane Demidoff

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3 – Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson

Gary sort de l’enfance, Alaina se tient sur le seuil de l’âge adulte. Tous deux sont si pressés de vivre qu’ils ne cessent jamais de courir tandis que Paul Thomas Anderson cavale pour rattraper le temps perdu. À l’instar du Armageddon Time de James Gray et du Once Upon A Time in Hollywood de Tarantino, Licorice Pizza dresse l’inventaire des souvenirs tout en débarrassant le passé de son poids nostalgique.

Marthe Statius

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4 – Chronique d’une liaison passagère de Emmanuel Mouret

Charlotte et Simon se voient en catimini pour des étreintes tendres et passionnées. Ils ont rendez-vous à l’hôtel, au musée, au Jardin des Plantes. Entre eux, la seule condition est de ne pas tomber amoureux. Dans ce mélodrame éminemment romantique et littéraire la parole se fait érotique, et les échanges volontiers philosophiques. Mais le jeu de l’amour est plus traître qu’on le pense, et la promesse de toujours se voir « sans arrière-pensées » bat rapidement de l’aile. 

Tristan Duval-Cos

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Ainsi que notre entretien avec Emmanuel Mouret

5 – Bowling Saturne de Patricia Mazuy

Au milieu des quilles et des carabines, deux frères se toisent, dans un duel éperdu et déjà perdu. Spectaculaire Orestie en rouge et bleu, Bowling Saturne réconcilie Metoo avec le Mythe. Mais nul ne sortira vainqueur de ce jeu de massacre, pas même les femmes. Car Patricia Mazuy, implacable, nous condamne à flairer crûment ce qui de la Bête gît en chacun de nous.

Hélène Boons

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6 – Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski

Tom Cruise n’en a pas fini de mourir et de ressusciter. Top Gun : Maverick échappe brillamment au piège du tombeau tout en posant la question de l’héritage. Dans une farandole de scènes de vol toutes plus époustouflantes les unes que les autres, Joseph Kosinski fait accéder sa vedette à une forme d’éternité que même les astres n’osent lui envier.

Marthe Statius

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7 ex aequo – Saint Omer de Alice Diop

L’une a tué sa fille en l’abandonnant à la marée montante, l’autre, qui ne s’avoue pas sa grossesse, se retrouve dans le récit dela mère infanticide. Traitée dans une fiction à la frontière du documentaire, cette ressemblance questionne en profondeur la maternité et l’universalité. Avec son film à l’esthétique lente et aux regards troublés, Alice Diop nous offre un espace de pensée, une expérience cathartique.

Pauline Ciraci

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7 ex aequo – Vitalina Varena de Pedro Costa 

Dans un clair-obscur digne du meilleur Caravage, Pedro Costa livre un film sur la perte et le deuil. Vitalina Varela est Capverdienne, elle débarque à Lisbonne pour les obsèques de son mari, parti il y a 25 ans pour trouver du travail dans la capitale portugaise. Dans la ville où est mort son mari, elle rencontre les fantômes du passé, et les traces d’un homme qu’elle a perdu sans avoir pu le revoir. Chef-d’œuvre de mise en scène, le film de Pedro Costa s’attarde sur les mains, les visages enténébrés de ces hommes et ces femmes dignes envers et contre tout.

Tristan Duval-Cos

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9 – EO de ​​Jerzy Skolimowski

Exit le male ou le female gaze. Skolimowski opte pour le donkey gaze et place sa caméra dans les yeux d’un âne, échappé de son cirque. Il nous plonge ainsi dans une fable hallucinée, drôle et touchante où la mélancolie et la candeur de l’animal rencontre la cruauté de l’homme et la beauté du monde. Saisissant.

Romane Demidoff

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10 – Les Crimes du futur de David Cronenberg

Faux retour de Cronenberg au body horror qui a tant marqué son cinéma. Ici, dans la continuité de ses derniers films, David s’inquiète de la mort, aussi bien comme concept métaphorique qu’en scrutant son incarnation (lugubre Mortensen) déambuler dans les rues détruites de cette dystopie. Impossible de voir naître toute émotion dans un monde amputé de la douleur.

Théodore Anglio-Longre

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