Dans son dernier roman, Amandine Dhée part d’une rencontre en librairie avec une thanatopractrice – qui lira saura ce qui s’y joue – pour réfléchir la mort ; non pas dans un récit qui se voudrait dramatiquement axé sur la mort mais qui cherche avec intelligence et douceur à penser la transmission de ce que subir la mort autour de soi veut dire. Sortir au jour, aux éditions de la Contre-allée.

Quel délice que le dernier roman d’Amandine Dhée. Elle nous emporte tour à tour dans l’exploration de la mort, de la maladie, du deuil et du désespoir avec une finesse et une tendresse imparables, dépassant toute tragédie de la narration pour laisser émerger un long soupir salvateur face au quotidien. Il y a l’amie malade, et le cancer du père, et les questions du fils et les flambeaux ou relais des générations qui se profilent. Alors, face à l’omniprésence de la question de la mort, elle décide d’y voir de plus près : Gabriele, thanatopractrice à laquelle le roman délègue la parole, complète de la même douceur ce regard sans concession sur le passage du temps et la mortalité de l’être.

Récit d’une mère, récit d’une femme amie fille comédienne écrivaine, récit de ces incertitudes qui nous polluent et avec lesquelles on finit par jouer, parce qu’il vaut mieux cela que l’effondrement, que des névroses qui nous agitent on peut tenter de trouver un équilibre plein d’autodérision, là où la pulsion de vie et de savoir l’emporte. Au-delà même de sa capacité à traiter la gravité par le témoignage de la maladresse qui souvent nous habite et nous déjoue et la volonté de répondre d’un grand éclat de rire à l’absurdité du réel, le roman se construit avec intelligence mais aussi humour, car c’est bien de cet œil singulier qu’Amandine Dhée fait littérature. Aux réflexions de la narration rythmés par les événements qui défilent dans sa vie, la nôtre, du deuil donc en passant par quelques confinements, le texte donne la voix à Gabriele cette thanatopractrice qui offre un contre-point délicat, qui rappelle l’importance du soin accordé aux morts dans le travail de mémoire et de dépassement du traumatisme de la mort. Gabriele, c’est à la fois l’autorité du regard détaché sur le corps dans la mort et la douceur délicate de l’intérêt accordé au chagrin et à la perte : « Le métier de Gabriele, c’est d’être là quand la catastrophe a lieu. Elle travaille avec les morts. » Ainsi, Dhée la met-elle à distance pour mieux en montrer les rouages sans pour autant fuir l’émotion qu’elle délivre au contraire avec justesse.

C’est bien parce que le visage de la perte ou son appréhension est multiple, qu’elle nous atteint nous mais également notre capacité à la communiquer, la transmettre ou l’expliquer. Amandine Dhée s’appuie avec brio sur le réseau d’échanges qui se jouent au cœur du texte : fille qui écoute le père mais voudrait se taire en famille, mère qui se sent maladroite mais agit avec cœur, etc : « Je ne suis plus une petite fille, je suis une femme adulte, elle-même mère de deux enfants. Cette mort me le rappelle. J’avance d’une case sur l’échiquier familial ou je recule, difficile à dire. J’essaie d’être cette personne respectable, qui fait acte de présence, rend hommage, exprime ses condoléances et se demande si sa robe noire n’est pas un peu trop décolletée pour les circonstances. Difficile d’éviter l’assaut des questions existentielles. J’aimerais tellement piquer une part de flan et me cacher sous la table pour réfléchir à tout ça. »

C’est dire alors qu’il faut « faire quelque chose » avec la peur, réussir à s’en dépatouiller et vivre avec – lot de chacun dira-t-on, ici sans sublimation aucune, qui touche simplement où il faut, où cela doit, et laisser germer. De ces romans qui rompent l’œuvre de l’hiver pour nous inviter à la chaleur du partage.