Dans son nouveau recueil paru dans la belle collection poche / poésie des éditions du Castor Astral le grand poète James Sacré offre une délicate composition de textes écrits entre 1975 et 2021, une exploration soignée de la nature, de la terre, de l’image comme de l’érotisme, une écriture patiente et minutieuse.

La parole est au poète, pour ouvrir ici ce par quoi s’achèvera le recueil :

« Une rencontre continuée dit ce dernier livre que publie Le Castor Astral, des poèmes qui accompagnent les dessins d’Yvon Vey, un livre qui reprend aussi des écrits dans la compagnie des photographies d’un ami d’Yvon, Bernard Abadie. Une rencontre faite de hasards et d’ententes. Une rencontre qui nous échappe, en se continuant. Comme le poème probablement rencontre un monde qui lui échappe. »

On y retrouve avec douceur ce rapport si précis à la matière, une écriture qui confine parfois au toucher, en ce qu’elle cherche aussi à se saisir du monde qui l’entoure et vise dans le même temps à interroger « [l]’ignorance et l’énigme au fond de nos savoirs. » La poésie de James Sacré œuvre ainsi à un travail de digestion par le poème, d’amalgame et du geste de l’artisan. On reprendra alors l’image heureuse de Bernard Chambaz dans sa préface : « Le poème, il cherche à le « faire lever » ; faire, c’est le fameux « poiein » grec d’où vient la poésie, la fabrique, que ce soit celle du pré ou du caillou. Lever comme une pâte, comme une volée de perdreaux, comme une stèle, le jour ou le rideau, les étendards, le courrier. »

Faire poème ou le levain de la matière, la minutie de l’artisan du verbe.

« patate comme

un poème encore (visage de mon père) »

La patate, si l’image peut prêter à sourire, reprend l’illustration d’Yvon Vey, en regard dans le texte et se fait caillou. Ricochets des images, pétrir les images.

« Il y a dans une chambre (ou grande) abandonnée ce tas de patates qu’il faut dégermer. il pleut. le travail et le silence continuent. le travail et le silence )

On retrouve également dans ce très beau recueil le travail sur le paysage, exploration du décor, de ce que creuse encore le fond du tuyau, le non vu, « (La comparaison qu’on peut faire entre un tuyau et un cœur ça peut sembler saugrenu quand même si on dit ce que contient le mot coeur : une joue rouge un peu, l’impression qu’un jour c’est comme une obscénité permise, avec surtout les vêtements comme (caleçon, linges) quand l’étoffe ça tire – le cœur pas bien comme un tuyau mais quand même ça fait plaisir quand même que c’est mal dit.) »

puisque le

« Tuyau défait comme

Aussi le paysage »

Comme toujours, images et vocabulaire de James Sacré ne visent aucune ostentation ni posture mais déposent là la singularité du mot qui ne désigne que la seule présence de la réalité qu’il manifeste. Le poème dit l’être-là et la présence du monde dans la minutie du vers.

« Je pense à ces débris de dentelle

Trouvés sur un coin de terre sans forme

A ce qu’en pourrait faire un peintre que je connais,

Qui sait mieux voir que moi (et le montrer

En quelques mouvements de ses mains mêlées à de la pierre et des débris de soie)

La présence du monde en ses plus abandonnés fragments. »

Quelle beauté que celle de l’image des « débris de dentelle » dans la couture même des fragments du monde où se jouent encore les présences / pierre / tuyau / images ; l’œil ouvert du poète dit, le regard parle et travaille la matière du poème / poème matière jusque dans sa progression qui agit

« Entre le bruit des mots que j’emploie et forcément

Du sens qui me vient

Dans leur mise en forme (et leur brouillage malgré un désir de clarté)

Sur le papier. »

La puissance d’évocation de l’être-là se confirme dans sa gratuité et son inutilité la plus précieuse, qui échappe à l’ordre

« Le mot poème (sa matière de sens et de bruit)

Comme une affirmation. Sans raison. »

S’il feint l’ignorance même de l’élaboration du poème (feindre en ce que l’écriture elle-même témoigne de l’effervescence précise du « faire lever »), le poète ne manque non plus de toucher juste évoquant la persistance du poème lui-même. Écrire là où quelque chose persiste d’une parole qui ne se tait pas, qui dit avec sa parcimonie l’interrogation de l’être-là et du témoignage qu’en porte la poésie.

« Débris de poèmes

Quelle clé, quelle explication ? je vais pourtant

Continuer

Ça va continuer ces traces d’errance à travers les mots

Poème qui voudrait penser à ce qu’il est, à ce qu’il est

Aussi avec ce qui l’accompagne : le monde, une photo

Mon tourment le goût ou la décision d’écrire, le plaisir

De tourner la forme d’un vers ou d’un paragraphe

De prose.

Le poème qui voudrait penser, qui fait semblant,

Qui n’est

Peut-être pas un poème ; et qui persiste. »

Et persistante, l’œuvre de Sacré s’offre comme une paisible question qui demeure ouverte à la rencontre continuée.