Géométrie du cri, le premier recueil de Guillaume Richez est publié aux éditions Lanskine. On connaît le goût précis et fin de l’auteur pour la littérature contemporaine, notamment grâce à son travail critique sur son site Les Imposteurs, on découvre désormais un travail du texte autre, dans ce beau recueil qui laisse entendre le croisement des voix, l’effervescence et l’évanescence. Croisement, avec force, là où le fragment semble circuler autour d’un événement singulier – il faut lire pour relier les points et ne pas savoir mais voir – qui acte les lignes de fuite de cette géométrie des présences.

Construite autour de ce qui semble être un événement de la bascule, passage de 18h31 à 18h32, bascule avant tout spatiale, sur l’axe de la voix et du corps, de la présence et de la mémoire, l’écriture de Guillaume Richez joue l’amalgame des sens et des perceptions ; là où ce qui compte avant tout demeure la pointe de cette voix, ce qu’elle énonce, plutôt que l’événement en lui-même.

« nous avons deux fins dans le poème

entre la fig. A et la fig. B

l’énoncé comporte mille deux cents erreurs

dans son premier mot »

Le poème dit le mouvement, comme un tracé statique et vibrant de ces corps qui se regardent. Recueil sans image saturé d’images, il élabore la beauté d’un agencement graphique de l’histoire, comme d’un espace de la mémoire que l’on voudrait retenir, toujours « l’oeil occupé de ton absence ». « Récit par poèmes », comme Guillaume Richez le dit lui-même dans le très bel entretien qu’il a accordé à Isabelle Lévesque pour Recours au poème, il livre un recueil qui, au-delà de la beauté évidente des vers et des fragments, déploie un rapport fécond à la scène mentale du texte. Elle se fait espace où émerge ce cri, photographie intempestive de ce temps resserré de la présence et de la parole

« nous recompterons un à un tes doutes

retrouverons ton angoisse si belle

la virgule entre chaque chose

la décimale du vivant

pour que nos noms ne soient plus prononcés

il reste un ARBRE à éblouir »

S’il s’agit de « (Penser le point comme un paysage.) » C’est aussi penser le temps comme un espace, où se jouent la trace et l’incident

« l’odeur qui s’apitoie

la falaise qui tombe en toi

la peau plaquée blanche

tant de verbes au ralenti

les bouches trop longues »

Permanence interminée des corps dans l’allongement de l’instant qui n’en finit plus et qui pourtant sent la chair de la disparition. Matière inerte de l’espace, dire de l’autre

« elle n’est que son corps

qui casse

le mot et sa fissure

la vie qui travaille

qui écarte

la fission poétique »

Interstice de l’horizon à vue dans le temps-paysage, rencontre des figures, à la fois deux êtres ensemble qui se font face et deux temporalités qui se reconnaissent, être et avoir-été en abscisses et ordonnés : intervalle en saccades de la pluralité de la présence, coordonnées du cri. Et

« derrière le cri

ma main et le silence qui coupe

calculant en degrés la fiction de soi à soi »

Le relai est une image que (trans)porte la parole, véhicule du poème dans l’élection de la minute. De 18h31 à 18h32, dit le poème comme la broussaille de l’intime, vie et mort de la scène dans la cartographie du verbe :

« mon vers géométrie est la somme de chocs arrières-droits

la mort devient une phrase

et ton œil ne se souvient pas du silence »

Ce que précise le paysage dans sa géométrie c’est ainsi également l’antériorité de la scène. Guillaume Richez réussit à manœuvrer son temps-espace dans l’association et l’image, par touches et sursauts, au seuil d’une parole qu’on voudrait ne plus taire

« j’ai

noir d’habitude

recueilli un silence pauvre sur toi

j’ai décollé à la vapeur

le bruit de ta bouche sur moi »

Il étoffe la beauté des images des non-dits, des hypothèses du silence :« je mange le négatif », d’une bouche pleine du verbe où jaillit le négatif oui mais comme envers, d’un trop-voir, dilatation de l’œil dans l’émotion du mot. Géométrie du cri donc, comme horizon du poème et d’une parole, beauté de l’image tournée et retournée à l’envi.