En cette Journée Internationale des droits des Femmes, nous remettons la question des féminicides au cœur de notre réflexion. Après Ne t’arrête pas de courir, qui raconte sa rencontre avec Toumany Coulibaly, champion de sprint le jour et braqueur la nuit, le journaliste Mathieu Palain revient avec un second livre, paru aux éditions Les Arènes le 12 janvier 2023 : Nos pères, nos frères, nos amis Dans la tête des hommes violents, aboutissement de quatre années d’enquête.

Cécile a 31 ans. En plus de ses cinq jours d’ITT* physique et dix jours d’ITT psychologique, elle a écopé d’une obligation de suivre un stage de responsabilisation sur les violences conjugales. Soit la même peine que Julien, son ex-petit copain qui l’a tabassée pendant 45 minutes, devant son coloc. Elle lui avait donné deux gifles. Il lui faut trois jours et le soutien de sa mère pour oser aller porter plainte. Quand elle rentre chez elle, son père l’engueule : « Mais pourquoi tu portes plainte ? Ça arrive à tout le monde de faire des conneries. »

Sauf que ces conneries-là abiment et tuent parfois. Souvent, trop souvent. La parole s’est certes libérée depuis 2017 et #metoo et les violences conjugales sont sorties du cadre de l’intimité. Mais elles ne sont pourtant toujours admises ni l’affaire de tous.

Pour rappel, 147 femmes ont été tuées en 2021, dont la plus jeune avait 12 ans. 213.000 femmes ont subi des violences sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. 94.000 ont été victimes de viol ou de tentatives de viol**.

Mais les victimes, ce sont d’abord les hommes. Tel est le constat édifiant fait par Mathieu Palain, qui a intégré différents groupes de paroles pour les violents conjugaux durant ses quatre années d’enquête. Il y est allé pour entendre « je frappe ma femme » ; mais à la place il entend : « Elle avait pas fait à manger. J’étais en colère. Je lui ai dit : « T’as deux semaines pour quitter le logement, parce qu’une femme qui ne sait pas s’occuper de la maison, ça sert à rien. » Elle m’a répondu qu’elle n’était pas ma boniche, et sur un coup de colère, je l’ai poussée. » Antoine est pasteur évangéliste.

Anthony aussi a ses raisons : « J’ai été accusé de tromperie. Je lui ai mis une gifle. Puis une gifle plus forte qui l’a fait tomber à la renverse. Elle s’est fracassé le crâne sur la table basse. Éclaté la tête. Un bruit énorme. Le lendemain, quand je me suis réveillé, elle était partie pour un foyer pour femmes battues. Et la petite avec. (…) Et maintenant je dois 4800 euros à la mère de mon fils aîné, parce que, en apprenant la nouvelle, elle a porté plainte pour violences conjugales elle aussi, comme quoi je lui aurais mis un coup de boule. Coup de boule imaginaire, qu’elle mérite pourtant ! Elle a eu soi-disant trente jours d’ITT psychologique. Et la deuxième, enfin celle qui a vraiment reçu des gifles, elle a eu huit jours d’ITT physique. »

Non, ces hommes-là ne frappent pas, ils poussent, ils fracassent tout au plus. Mais ils ne frappent pas. De l’art de jouer sur les mots.

Hélas, nombreux sont les hommes violents que l’on ne soupçonne pas. Quand il tente d’enquêter sur les violences conjugales dans les milieux aisés, Mathieu Palain se heurte à une omerta.

Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ODRP), un homme sur vingt-cinq serait violent, explique Mathieu Palain. Un chiffre qui l’incite à imaginer d’autres bourreaux que ceux des groupes de paroles, composés d’hommes condamnés. Ceux qui ne se sont pas fait prendre ne sont pas inquiétés. Hélas, nombreux sont les hommes violents que l’on ne soupçonne pas. Quand il tente d’enquêter sur les violences conjugales dans les milieux aisés, Mathieu Palain se heurte à une omerta. Cécile lui confiera bien plus tard que son propre père, cardiologue, était un homme violent, une fois les portes fermées. Mais un père que ses amis lui enviait « Souvent, on me disait : « oh, j’aimerais trop avoir tes parents. » Parce que quand il y a du monde, il est différent. »

Liliane Daligand est une psychanalyste que Mathieu Palain a rencontrée au cours de son enquête. Elle lui confie : « Quand j’étais à l’hôpital, une médecin m’a arrêtée un jour et m’a dit comme ça, sorti de nulle part : « Mon mari me frappe. » Quand je lui ai proposé de venir à l’association, elle m’a dit qu’elle ne pourrait jamais. Et, en effet, elle n’est jamais venue. Je la recroisais ensuite dans les couloirs en sachant qu’elle vivait, mais elle ne m’en a jamais reparlé. »

Surtout ne pas écailler le beau vernis social. « Cécile écrit à Julien pour l’informer qu’elle vient de porter plainte. Il ne s’y attendait pas. Terrorisé à l’idée de se retrouver en prison, il la supplie de faire machine arrière. Leurs amis ont la même réaction : « Quand même, ta plainte, c’est grave pour Julien. S’il fait la moindre connerie, il risque la taule… » »

Et puis, qui les croirait, ces femmes ? « Le lendemain, je suis allée le trouver à son cabinet. Il a eu un rire mauvais. Il a dit : « Tu sais comment ça va se passer ? Tous les gendarmes de la région, je les connais. » »

Si la violence existe bel et bien dans toutes les classes sociales, elle a un visage différent pour chacune d’entre elles.

Car cette violence est systémique, et c’est bien là le problème. Quand on creuse un peu, on remarque souvent que les bourreaux ont d’abord été des victimes : père violent, abus sexuels…

Mathieu Palain s’interroge. Si autant de femmes sont battues chaque année, si autant portent plainte, c’est qu’il côtoie chaque jour ces hommes violents. À l’instar de Julien, l’ex-petit ami de Cécile : « Julien était un Parisien tout à fait commun, à des années-lumière de l’image que je me faisais du mec violent : une brute alcoolique et bas de plafond, qui frappe sa femme parce qu’elle a brûlé le gratin ou trop salé la soupe. » La plupart sont des hommes normaux, comme il en rencontre tous les jours. Comme vous en rencontrez tous les jours. Car cette violence est systémique, et c’est bien là le problème. Quand on creuse un peu, on remarque souvent que les bourreaux ont d’abord été des victimes : père violent, abus sexuels… « L’enfant apprend avec ce qu’il voit. S’il n’y a pas de violence dans la famille, il a peu de chances d’attraper le virus. C’est un peu comme la grippe : si votre père tousse toute la journée, vous allez tomber malade. Le virus de la violence se développe chez l’enfant parce qu’on l’a conditionné à tolérer la violence », explique aux stagiaires l’une des animatrices de groupe de parole de Caen.

La violence est un cercle vicieux dont il paraît impossible de sortir.

Il est difficile de dire d’un tel livre si on l’a aimé ou non. La question, ici, réside plutôt dans la question suivante : en avons-nous appris et retenu quelque chose ? La réponse est oui. Mais Nos pères, nos frères, nos amis Dans la tête des hommes violents laisse dans un état d’hébétude.

« Les femmes de nos jours c’est grave. Elles ne pensent plus à fonder une famille, à faire les choses bien, elles pensent à se faire belles, aller en boîte, se prendre des races à l’alcool. C’est plus la même mentalité.

– Elles font comme les hommes alors ? insiste Laurence.

– Elles font pire ! Elles nous ont dépassés. Elles me choquent, les femmes ! Quand je vois ma mère à côté… et pourtant elle n’a pas eu une vie facile avec mon père.

– Elles ont la belle vie, vous pensez ?

– Quand elles ont vu la liberté arriver, elles n’ont pas su la gérer. Trop de libertés d’un coup. C’est mon point de vue. »

Face à tant de violences, face à des discours pétris par des années de patriarcat, Mathieu Palain ne trouve aucune réponse à la question qu’il se posait n’a malheureusement aucune solution miracle à avancer. L’incarcération ne guérit pas, pas plus que ces groupes de paroles qui ne peuvent déconstruire des idées profondément ancrées dans la tête des hommes en trois jours. Les manques de moyens octroyés par le gouvernement sont également responsables de ce fléau. Restent les beaux mots du journaliste pour questionner cette violence. Questionner notre violence à tous.

* Incapacité temporaire totale

** source : @NousToutes.org (Instagram)

Nos pères, nos frères, nos amis, Dans la tête des hommes violents, Mathieu Palain, Les Arènes

Crédit photo : © Celine NIESZAWER/Leextra