Réédité dans la nouvelle collection poche des éditions Lanskine, le recueil de Laure Gauthier explore les cercles de nos Enfers contemporains, dans un texte qui assume son dialogue avec le le poème de Dante. Après Les corps caverneux, déjà paru chez Lanskine l’année dernière, Laure Gauthier poursuit son exploration du souffle des corps, de cette tension qui nous tient comme agités au réel dans cette belle cité dolente, paru au mois de mars.

Inerte le corps qui ne l’a pas toujours été, inerte le corps encore qui porte la parole même tue de sa présence et se dit, par son « regard gondole », dolens oblique, douleur droite.

« Tu refusas sans mot l’immobilité

Ta peau sentit, je crois, encore la mienne,

Ma voix, puis ta cécité. »

C’est charnellement que se jouent l’histoire et le passage du temps dans le récit poétique de Laure Gauthier, comme souvenir d’une étreinte où nous avons déjà vieilli – permanence de la chaleur d’une main encore suspendue, au bord de l’adieu : « Je ne demande qu’à conserver l’eau du souvenir, à mourir liquide. Bruits étouffés, hydratés, ne percevant plus l’idiolecte médical, l’équipe palliative, avec son grand manteau. »

Equipe palliative de ce récit du corps médicalisé, du vieil homme qui rejoint l’EHPAD, un de ces cercles – parfois – de l’Enfer contemporain. Et la parole qui dit l’encorps sur le fil de l’histoire et d’une résistance toute pasolinienne, lequel ouvre le recueil.

« J’admire le poète qui

Agonise en quelques mots, hors de soi, à sec.

Toujours sur les rails d’à côté,

Crève en mode travelling permanent.

Avec ma voix sans souffle, je rêve de redevenir magma, moins à plaindre, indéniablement, que le danseur terrassé, boursouflé qui sent monter en lui l’envie, déchirée, de danser sa mort, mieux que mahler […]. »

Et ce désir de danser nos propres morts, éructer encore un peu de nos corps caverneux, vers l’hors de soi/r.

Dans cette circularité des cercles de l’Enfer – et l’on ne manque pas de voir encore combien les cercles s’agrandissent, où surgit toujours la violence, et le geste qui l’étouffe et la refuse, aujourd’hui, précisément, bascule du printemps 23, flammes des rues brasier du corps multiple – le texte nous enjoint à la poursuite. Poursuite quand rien ne cesse le poème qui s’achève, geste de l’épopée, sur l’avant-dernier chant : un chant qui refuse la fin – les fins – car l’histoire n’est pas finie. Et si le poème récite ce corps dansé de l’histoire en jeu il explore la puissance enragée du saillant, le vu.voir : « Reconstitue les restes de l’enfant saccagé. Massacrer ce qui pourrait danser et chanter. Fermer la porte du puits pour qu’on ne soit pas les seuls à l’agonie, empêtrés dans la bave de l’envie. Lester la vie pour ne pas avoir mauvaise conscience. »

dolens le corps de l’histoire, la peau qui a vu.trop vécu

dolens le corps vivant et le pourrissement de la matière

« Et dire que j’étais peau !

Et j’aimais à toucher. »

La cité des hommes n’est pas la cité des dieux, aucun souverain bien à l’horizon sinon celui de la matière brute de l’être au monde, dolens l’en soi qui surgit et éprouve, de ce qui passe de nous

« Et à prendre adieu de ta chair évaporée

Comme si la mort remontait à la surface de la peau.

Après un séjour saumâtre dans les profondeurs.

Et moi, carpe, je rôdais dans ton être boue. »

Et continuer les cercles encore, danser et danser ce que dit le corps là à l’histoire.

Référence : Laure Gauthier, la cité dolente, éditions Lanskine, mars 2023