À gauche, Alphonse Mucha, Iris de la série de lithographies Les Fleurs, 1898
À droite, Alphonse Mucha, Champagne Ruinart Père et Fils, 1896

Parfait avatar de l’éclectisme par sa recherche d’une ornementation nouvelle, l’Art nouveau est un trésor de la Belle Époque mis à la portée de tous. Il est librement inspiré par le thème de la nature et se caractérise par la théâtralisation de la femme où les courbes et les arabesques dominent. Plus que d’universalité, l’Art nouveau transcende les époques et les lieux.

Du jardin à l’œuvre, le geste de l’artiste

Émile Gallé, étude du vase Ancolies, Musée de l’École de Nancy, © Claude Philippot

Au XIXe siècle, en France comme ailleurs, l’on était las de voir répéter toujours les mêmes formes et les mêmes formules, de voir reproduire toujours les mêmes clichés, de voir imiter sans fin le meuble Louis XVI ou Louis XV, le meuble Renaissance ou gothique. Il était simplement réclamé un art enfin à lui, non assujetti à la mode, au goût, aux inspirations étrangères. Un art hors du temps, hors de l’espace, une création singulière, littéralement.

Une unanimité se fait ainsi jour, la nature s’impose comme source nouvelle. Réalité ambiante, elle est un véritable spectacle pour l’œil averti et sensible qui se nourrit des beautés conjuguées du monde.

Loin d’une végétomanie outrancière, son usage dans les arts se mesure et dépasse le simple argument esthétique. À une époque où dans les sciences naturelles se développent, Émile Gallé rédige un texte détaillant sa manière d’aborder l’emploi de la botanique pour la décoration. Son travail se décompose en quatre étapes : « Herborisation. Herbier. Croquis. Aquarelle ». Par l’observation active suivie d’un travail de dessin d’une grande rigueur scientifique, il est alors permis la création d’un art nouveau et riche.

La promenade dans les jardins devient alors presque une condition indispensable pour cet exercice. Curieux outils que sont alors ces espaces tandis que pour beaucoup, ils paraissent avoir quelque ressemblance entre eux. Pour les yeux de l’artiste, chaque jardin se présente avec son caractère propre et personnel, avec ses spécimens pleins de charme. La recherche du détail et des accords heureux, voilà le secret de celui qui est habité et qui a su tirer de cette nature ses magnifiques motifs de décoration.

L’art nouveau est émouvant finalement car c’est par amour de la nature que l’humble artiste se penche vers la fine fleur et s’abandonne alors à la beauté du geste créateur.

Idéal florissant et séduisantes créations

Émile Gallé, Table à jeu, entre 1902 et 1904, noyer et cèdre du Honduras mouluré, marqueterie de bois variés , Donation Mme Antonin Rispal, 2005, musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Qu’avaient-ils de bien nouveaux ces tableaux, statuettes et objets de toute sorte, de l’assiette à l’affiche, du tapis à la dentelle ?

Art nouveau dans l’art statuaire, dont les gracieuses fantaisies, les figurines légères, effrontément se suspendent, se déploient, souples et nues, sur toutes choses, coupes, vases, objets de bureau. Art nouveau aussi dans la bijouterie délicate, mais encore dans la verrerie caractérisée par l’usage immodéré de l’arabesque, qui relate le talent des artisans, ou plutôt, le génie de ces derniers. Art nouveau, ce mobilier, ces bureaux et ces chaises, ces armoires ou vaisseliers aux motifs végétaux qui portent avec les livres, ces bibelots, statuettes, pièces de céramique ou de verrerie, non moins nécessaires aux yeux qu’à l’esprit.

En synthèse, il y a nouveauté dans la clarté rendue aux intérieurs jadis trop souvent sombres et trop sombrement tapissés. Nouveauté de surcroît tous ces artistes qui à eux seuls évoquent cette époque de rupture et qui ont permis à l’art ce renouveau qu’il a conservé pour toujours en son nom.

De cette remise en cause d’un esthétisme suranné, certains artistes parviennent même à un style plein et évitent le piège de la référence à un style national. Ils surplombent en cela plus que le temps, les frontières pour reproduire simplement les beautés naturelles.

Art total dans les supports, mais dans les motifs aussi, ainsi les formes douces, courbes et féminines jalonnent alors les œuvres. L’asymétrie, point majeur, puisqu’il convient naturellement de reproduire au mieux ce que nous offre la nature n’obéissant par ailleurs à aucune loi. Elle est éclatante et généreuse mais sauvage et indomptable. La couleur est également un élément important par sa polychromie soulignant toute la puissance des volutes, rosaces imparfaites ou encore lignes entrelacées.

L’Art nouveau synthétise les forces de la raison et de la passion, du raffinement et de la communion, pour un mouvement des plus sensibles de l’histoire.

Les incontournables d’une période éternellement nouvelle

Une errance dans les rues parisiennes et voici qu’apparaissent déjà les arches du métropolitain parisien. Elles sont aisément reconnaissables par ses arabesques d’inspiration végétale. Hector Guimard, architecte lyonnais, a imaginé ainsi ces petites constructions afin d’alerter les passants d’un vide appelé la bouche. Par le pur style Art nouveau, il associe fonctionnalisme et esthétisme, art et industrie. Même si la vitalité de ces édifices semble se flétrir, il est encore possible d’y surprendre la lumière qui se reflète dans le métal faisant hésiter quant à la matière. Elles semblent avoir la dureté de la pierre et la souplesse de la chair végétale.

D’ores et déjà observable, l’artiste Art nouveau est un artisan accompli et touche-à-tout. Le traditionnel clivage s’efface au profit du fameux artisanat d’art. Louis Majorelle, décorateur et ébéniste lorrain, a façonné à sa manière l’Art nouveau. Il est l’un des membres fondateurs de l’École de Nancy (une alliance pour les industries d’art) et prend place aux côtés d’Émile Gallé. Majorelle remplace le décor verni ou peint du mobilier rocaille au profit du décor marqueté à références naturalistes. À chaque pièce les lignes fluides, courbes et asymétriques inspirent à des tiges et des branches. Molles et souples, elles donnent presque l’illusion de meubles mouvants, dont les pieds jaillissent du sol comme des plantes. Les lampes se recourbent telles des fleurs, nichant leurs ampoules au cœur de délicates corolles en verre soufflé.

D’ores et déjà observable, l’artiste Art nouveau est un artisan accompli et touche-à-tout. Le traditionnel clivage s’efface au profit du fameux artisanat d’art.

De ces courbes et contre-courbes, la silhouette féminine devient l’un des symboles de l’Art nouveau avec le prince des affiches colorées, l’artiste tchèque Alphonse Mucha. Il incarne la Belle Époque et jouit d’une certaine notoriété par ses dessins voués aux produits de consommation courante, aux spectacles ou expositions. Ces femmes fatales deviennent de belles plantes naturalistes qu’il pare de bijoux ou les vêt d’un simple voile pour incarner les saisons et les fleurs. Ses créatures paraissent distantes, hiératiques, incarnant un lointain idéal, une vision presque chimérique. Dans les lignes pures du dessin, il transpose avec une grande authenticité le portrait de ses modèles préalablement photographiés contrastant avec l’aspect fabuleux du décor.