Avec la reverdie s’annonçait la tenue d’Art Paris, rendez-vous printanier artistique incontournable pour tous les acteurs du marché de l’art. Cette année, l’accent s’est porté sur l’engagement artistique, mais aussi le 25e anniversaire du salon. Autrement dit, Art Paris s’est voulu responsable, sage et politiquement correct.

Un engagement politique et moral.

L’affiche était très claire à ce sujet : « Art et Engagement – un regard sur la scène française », « L’Exil, dépossession et résistance ». Le commissaire invité Marc Donnadieu nous invite à repenser l’engagement artistique dans un contexte anxiogène marqué par la guerre, la montée des parties d’extrême-droite et d’extrême-gauche, la maladie, la crise sociale et économique… Que peut l’Art dans un contexte aussi défavorable à l’optimisme ?

La réponse est complexe. L’Art ne peut rien. Nous ne sommes pas des magiciens. Les acteurs de l’art n’ont pas le pouvoir de régler les problèmes du monde. En revanche, les artistes ont cette conscience éveillée qui peut inviter le public à ouvrir les yeux. Les artistes, nouveaux lanceurs d’alerte ! L’artiste peut transformer le monde en n’étant pas seulement un spectateur désengagé de l’Histoire.

Thu Van Tran, Galerie Almine Rech

En arpentant les longues allées du salon, nous avons ainsi pu retrouver les œuvres de Thu Van Tran à la Galerie Almine Rech. Thu Van Tran propose des œuvres qui dénonce l’épandage de l’agent orange par les Américains durant la guerre du Viêt Nam. Ses peintures rappellent la couleur des dioxines et forment une sorte de palimpseste de couleurs qui masquent le gris de la première couche. Pour poursuivre sur les artistes vietnamiens, nous avons pu visiter une partie de l’exposition V.I.E. de la A2Z Gallery qui présente Tran Trong Vu et une des rares installations du salon intitulée The Illusion of War. L’œuvre donne à voir un soldat au milieu d’un massif de fleurs bleues, rouges et blanches. Au-dessus de l’installation, une peinture rappelle le drapeau ukrainien parsemé d’avions russes qui de loin ont l’air d’oiseaux.

Marc Donnadieu évoque quatre piliers, quatre figures tutélaires pour cette thématique : Nancy Spero et ses œuvres défendant les droits des femmes, Jacques Grinberg et Hervé Télémaque qui subliment la gravité du monde avec ironie et dérision, Paul Rebeyrolle et ses peintures brutes qui font vibrer la matière et qui témoignent d’une nature exsangue et sèche.

Trois volets se dessinent donc. Dans un premier temps L’art et la figure féminine est mis en lumière. La femme toujours trop menacée est mise à l’honneur par nombre d’artistes d’origine africaine comme la photographe Angèle Etoundi Essamba et ses portraits en noir et blanc ou encore l’Afghane Kubra Khademi présentée à la Galerie Eric Mouchet qui se bat contre la tyrannie islamiste de son pays d’origine. Sur une de ses peintures, deux femmes nues, les cheveux au vent, se battent contre un serpent bleu crachant son fiel.

L’art et la nature est de retour – nous en avions parlé dans un précédent article – avec des œuvres qui invitent le public à réfléchir sur la consommation et les éléments naturels. Ainsi, nous retrouvons Quentin Derouet à la Galerie Pauline Pavec et à la Spaceless Gallery qui fut une belle découverte notamment avec l’artiste Aurèce Vettier et ses traces de plantes inconnues marquées sur un grand aplat noir. En outre, Art Paris insiste sur la dimension écologique du salon, ou du moins des efforts réalisés au fil des ans pour que la conception du salon soit la plus écologique possible en recyclant les éléments d’exposition, en réduisant l’empreinte carbone des transporteurs etc. Pas à pas, nous y arrivons.

Enfin, l’art et la guerre, ou plutôt l’art et la politique a une bonne place. Hassan Musa revisite La barque de Dante d’Eugène Delacroix et la renomme Dante de Lampedusa II, port tristement connu désormais pour y accueillir les migrants bravant la Méditerranée.

Hassan Musa, Dante de Lampedusa II (d’après Delacroix), 2019, Peinture, 100 x 100 cm, Courtesy de l’artiste et Galerie Maïa Muller

Ainsi l’Exil est le second thème abordé par la commissaire Amanda Abi Khalil. Les peuples bougent. Ils en sont contraints. La guerre, le climat, la faim… Au bout l’exil, cri silencieux de celui qui s’arrache de ses terres. On a à l’esprit les poèmes du Palestinien Mahmoud Darwich. La galerie de la regrettée Suzanne Tarasieve présente une photographie rehaussée à l’aniline de Boris Mikhailov, exposée récemment à la Maison Européenne de la Photographie. Le thème de l’exil est exploré de différentes manières. Il n’est pas seulement question d’immigration, il s’agit aussi de quête intérieur, de cristallisation du moi.Dans tous les cas, il est question de survie, de tentative de se raccrocher au connu, là, dans l’inconnu.

Un retour au sens et aux émotions.

Au-delà de ces thèmes, nous avons flâner comme à notre habitude, de galerie en galerie en retrouvant des visages connus. Plusieurs œuvres nous ont marqué. Cependant, de manière générale, Art Paris fut calme, poli. Il n’y a pas cette envie de fracas, d’œuvres chocs. L’heure était à la mesure, au sérieux.

Art Paris fut calme, poli. Il n’y a pas cette envie de fracas, d’œuvres chocs. L’heure était à la mesure, au sérieux.

Revenons à la A2Z Gallery, car l’œuvre de Bao Vuong m’a saisi. Nous étions plusieurs à la contempler, à demander discrètement à la galeriste le prix de l’œuvre tant celle-ci avait un pouvoir d’attraction. C’était une mer noire déchaînée. La texte était saisissante. On avait l’impression de battre la mer sur un navire condamné à sombrer, prêt à engloutir cette eau noire comme de l’encre. Tout était si doux. The Crossing CXL, peinture à l’huile, acrylique, poudre de graphite et cendre d’encens vietnamien, vous prend le regard. Coup de cœur.

Bao Vuong, Crossing CXL, A2Z Gallery

C’est aussi à la Galerie Catherine Issert, où nous avions découvert les photographies d’Alexandre Dufaye lors de Paris Photo, que notre regard s’est intrigué. La peinture aux résines alkydes sur Tergal a touché notre regard. La peinture apaise, ouvre un autre monde aux teintes roses et dorées, nous invite à entrer dans un état proche de la méditation. Douceur.

À la Spaceless Gallery nous retrouvons Quentin Derouet et ses roses en pigments sur toile. J’eus la même fascination face à cette poésie picturale dont le pigment rose fane avec le temps. Puis, nous découvrons le travail d’Aurèce Vettier qui allie l’intelligence artificielle et la poésie de la mémoire par touche de pigments.

Filons le thème floral et terminons avec Clément Davout et ses peintures évanescentes aux ombres de plantes. La lumière est celle de la brume au matin qui flotte sur un champ. Elle est vaporeuse, flottante, presque argentée. La silhouette de la plante est trouble comme si les yeux du peintre avaient eux aussi un peu de brume et de rosée empêchant toute netteté. Brume du rêve.

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Art Paris 2023 était éclectique, mais sans prise de risque. Les galeries ont joué la carte de l’efficacité en présentant des œuvres consensuelles. La vitalité du salon demeure. L’art contemporain, qu’il soit figuratif ou abstrait, reste dynamique et trouve un public de plus en plus curieux. Peut-être arriverons-nous à nous débarrasser des discours réprobateurs et ignorants sur l’art contemporain cantonné, dans l’opinion public, au conceptuel.

Crédit photo : Vue de la Galerie Pauline Pavec, Art Paris 2023 © Marc Domage