Dans cet atelier-galerie situé dans le Vieux Lyon, la nature est papillonnante, l’ambiance y est presque poétique. D’une aquarelle botanique, il en ressort avant tout un tour de force technique, la représentation la plus précise et la plus fine de la nature. Au-delà d’une recréation, Vincent Jeannerot transmet une véritable émotion dans le dessin de ses modèles les saisissant avec finesse, vérité et précision. Avec lui, on s’aperçoit alors que tout est beau dans son ordre. L’artiste répond à la nature plasticienne pour l’élever à l’idéal. Le sublime se trouve ainsi au cœur de ses créations. Il révèle dans cet entretien toute la dextérité et la délicatesse que son art requiert.

Marion Deleporte : Vous êtes reconnu dans cette discipline artistique bien spécifique qu’est l’aquarelle botanique. Vous avez exposé notamment à Londres au « Chelsea Flower Show », à « l’Art du Jardin » au Grand Palais à Paris mais aussi à New York. Comment en êtes-vous arrivé là ? Quel est donc votre parcours ?

Vincent Jeannerot : À l’origine, je suis né à Lyon et j’ai grandi dans la campagne lyonnaise. Si mon père m’a transmis l’amour de la nature, ma mère celui de la peinture. Presque naturellement, j’ai ainsi intégré les Beaux-Arts de Lyon et y ai découvert la force et la transparence des pigments de l’aquarelle. Je peins par l’aquarelle la beauté pure et naturelle de la vie. Je me suis installé ici dans le cœur historique, le Vieux Lyon, car ce quartier renaissance m’inspire. Il m’évoque l’Italie. J’ai ensuite voyagé effectivement pour exposer, donner des conférences ou enseigner.

Plastiquement, vous faites le choix du réalisme pour évoquer la beauté de la nature.

La particularité de l’aquarelle botanique réside en ce qu’elle n’est pas soumise à l’émotion personnelle de l’artiste mais dans la vibration exacte de la touche, en somme la vérité de ce qu’est le végétal.

Dans mon enfance, au cours de longues promenades en famille, j’ai appris à observer les végétaux, à les contempler. Encore aujourd’hui, les jardins mais aussi les lieux plus rustiques sont pour moi une source constante d’inspiration et d’émerveillement. La nature est surprenante. Je pense sincèrement que le modèle se suffit à lui-même par sa splendeur. On ne peut faire preuve que d’humilité et d’abnégation face à la beauté de la nature.

Triptyque 3 champignons – Bolet, Chanterelle et Cèpe de Bordeaux © Vincent Jeannerot

Vous convoquez diverses espèces mais toujours les mêmes types, à savoir les feuilles, les fleurs, les légumes, les fruits. Quelle en est la raison ?

Je communique plus directement avec le monde végétal. Je parviens à développer avec lui un sentiment et une vision objective des impacts de la lumière, des formes, des changements. Dans cet univers, je m’intéresse tant aux fleurs qu’aux légumes, aux différentes plantes que je croise au cours de mes pérégrinations.

Par exemple, lorsque je me suis rendu chez Anne-Sophie Pic, cheffe étoilée à Valence, certains de ses agrumes m’ont inspiré des aquarelles. Les assiettes qu’elles composent sont fascinantes. Rien n’est laissé au hasard.

C’est curieux l’individualité qu’est donnée à vos sujets, vos créations s’apparentent quasiment à des portraits.

Oui, c’est vrai. L’illustration botanique veut cela aussi. Elle obéit à un arsenal de règles internationales strictes.

De quelles règles parlons-nous ?

Triptyque 3 champignons – Bolet, Chanterelle et Cèpe de Bordeaux © Vincent Jeannerot

Il s’agit de représenter un sujet unique sur un fond blanc à échelle 1. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle il n’y a pas de paysage à ces modèles. Toutes les illustrations botaniques, même ailleurs, à l’étranger, obéissent à ces règles-ci. L’objectif est la reproduction fidèle de la manière dont la plante pousse dans la nature. Tout est dans le détail. Cette technique classique et rigoureuse est exactement la même que celle qu’employaient les aquarellistes accompagnant les explorateurs dans le but de témoigner des nouvelles espèces. Plus tard et encore aujourd’hui, la discipline fait l’objet d’un intérêt notable pour les illustrations professionnelles. La finalité est aussi bien pédagogique que scientifique.

Cela nécessite une fine observation, il s’agit d’un art éminemment scientifique finalement.

Tout à fait, l’observation est vraiment le maître-mot. L’aquarelle dans la simplicité de ses moyens, la légèreté, la facilité d’exécution, la précision de la tache limpide doit donner une impression sincère de la nature. Il y a une imitation mais il ne faut pas non plus sacrifier une expression directe et spontanée. Si tout est bien exécuté, le modèle se trouve révélé dans ce qu’il a de plus intime. Il faut capturer les nuances les plus infimes et les ombres les plus douces et être très patient.

S’il ne faut n’être qu’un œil, c’est intéressant de se pencher alors sur la place de l’artiste. Doit-il s’effacer ou bien peut-il s’exprimer d’une certaine manière ?

il s’agit d’exprimer la vie et faire vrai. La nature et ses ornements sont justes, ils possèdent la justesse. La nature se compose de caractères, tous différents, tous « picturables » avec des effets perpétuellement nouveaux. Nul besoin de chercher ici le beau, le beau c’est l’infinie variété de la vie. Face à cette harmonie, le peintre dans l’illustration botanique n’idéalise pas son sujet. Pour en revenir à votre question, l’artiste n’est donc que l’outil au final, il ne se réapproprie pas le modèle. Il y a une véritable transmission.

D’ailleurs, c’est quasiment poétique ce que je vais dire mais généralement on peint avec le modèle dans la main. On fait corps, on entre dans un état contemplatif. L’artiste s’efface effectivement. Sa personnalité peut survenir à un autre moment. Lorsqu’il choisit quoi représenter, à quel moment et d’une certaine perspective (du haut ou du dessous par exemple). À ce moment-là, et uniquement dans ce cas, on ressent l’apport, l’empreinte du peintre.

À quel moment de vie saisissez-vous vos modèles ? Quelle est donc votre empreinte ?

Je privilégie un sujet vivant, la plante à son plus beau moment. Le plus beau moment pour moi bien sûr. J’aime saisir mes modèles lorsqu’il y a quelques branches mortes. Cela me rappelle que le temps règne en souverain, la finitude biologique de chaque chose, sa fragilité. Rien de morose, il s’agit simplement d’une exigence de la vie, elle fait partie du système, elle est conforme aux lois de la nature et j’aime la nature. Ici réside toute la difficulté de l’aquarelle botanique, puisque pour capturer ces moments de vie, il faut se hâter dans l’exécution avant que le modèle ne change une nouvelle fois d’apparence. Alors que parfois, une œuvre peut prendre jusqu’à 15 jours de travail, à raison de 7 ou 8 heures par jour…

Je privilégie un sujet vivant, la plante à son plus beau moment. Le plus beau moment pour moi bien sûr. J’aime saisir mes modèles lorsqu’il y a quelques branches mortes. Cela me rappelle que le temps règne en souverain, la finitude biologique de chaque chose, sa fragilité.

Il est complexe d’évoquer une émotion née d’une chose vue ou plutôt d’exprimer un ressenti venu du regard croisé entre un artiste qui crée la représentation du quotidien et l’observateur qui apprend à voir et à aimer ce qui lui est offert. Pour nous, observateurs, votre travail transpire la délicatesse et la sensibilité.

Je suis heureux de pouvoir partager l’émotion. J’ai d’ailleurs très vite considéré le pinceau comme un outil de partage.

En parlant de délicat, cela me fait penser aux soieries placées à l’entrée. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Déjà, il faut savoir que la soierie fait partie de la mémoire lyonnaise. À l’âge d’or de la mode, le monde regarde la France, et pour la soie, la France c’est Lyon. Même si aujourd’hui, on passe par l’innovation et la diversification dans le domaine du textile, les soyeux lyonnais n’ont pas perdu leur savoir-faire traditionnel. La maison Malfroy, par exemple, créateur de soieries depuis trois générations, offre toujours à voir et à toucher l’excellence, que dis-je, la noblesse de ses imprimés.

Régulièrement, la styliste Cécile Paravy collabore avec différents artistes. C’est la quatrième fois que nous travaillons ensemble à l’élaboration d’étoles en mousseline de soie et de carrés de soie, roulottés à la main, dans la plus pure tradition lyonnaise. À chaque fois que je lui soumets une sélection de mes aquarelles, elle imagine un univers toujours élégant et raffiné. Je suis surpris et ému par tant de créativité.

Votre créativité est tout aussi émouvante. De quelle manière nourrissez-vous votre pratique ?

Betterave rouge – format rectangulaire © Vincent Jeannerot

J’ai besoin d’étudier mes modèles, pour être le plus riche et le plus précis possible, m’inspirer de chacun des plus petits détails (revers de feuilles, pétales, étamines). À peu près deux fois par semaine, je vais au marché de Saint-Antoine, c’est le marché des bords de Saône. J’y reviens toujours les bras chargés de plantes, de fleurs, de fruits ou de légumes. Ils ne sont pas tous destinés à faire l’objet d’une aquarelle, certains décorent l’atelier et c’est tout aussi important pour moi.

Votre galerie fait entièrement partie de votre processus créatif.

Absolument. Il s’agit de mon univers, j’aime cette ambiance à l’esprit « cabinet de curiosité ». J’ai voulu ce lieu ouvert, sobre et lumineux pour présenter mes aquarelles.

Les aquarelles ornent vos murs et côtoient parfois les sujets d’inspiration, ils se font face. Votre travail est d’une grande profondeur, tout à l’air vivant.

Il y a effectivement beaucoup de mouvements ici, de la création, des échanges… En fait, il est possible de découper le lieu en trois espaces de vie. Le premier est dédié à la galerie-boutique plutôt à l’entrée. Le second se situe à l’étage et constitue mon atelier. Le matin, il est baigné par la lumière naturelle. J’aime quotidiennement me mettre à ma table de travail, écouter Chopin, respirer et m’inspirer du sujet que je peins. J’aime caresser le papier, choisir mes couleurs. Et enfin, un dernier espace, plus en retrait, est consacré à l’enseignement. Je donne des cours et j’organise des stages plusieurs fois dans le mois.

N’avez-vous jamais eu envie de donner vie à vos modèles également ? Je veux dire, vous arrive-t-il de jardiner pour cultiver en définitive votre art ?

Je me suis déjà prêté à l’exercice, le résultat n’était pas aussi concluant que pour mes aquarelles. Je préfère peindre, c’est cela qui plaît et me ressource.

Vous disiez organiser des cours d’aquarelle botanique. J’ai l’impression que cette envie de transmettre le geste aux autres fait partie intégrante de votre démarche esthétique. Pourriez-vous revenir sur cet aspect de votre travail et sur votre expérience à ce sujet ?

Déjà une envie de transmettre des sensations est indéniable, rien que pour rendre hommage à ce que me procure la nature. Puis, ces rencontres sont merveilleuses. Enseigner m’apporte beaucoup de joie et de satisfaction. Autour de ces tables, viennent, d’ici ou parfois de loin, des talents à qui je transmets ma passion et la technique de l’aquarelle botanique, à savoir l’observation, la précision et l’humilité, le tout avec un peu de pigment et un peu d’eau.

Il y a une volonté aujourd’hui de réintégrer les plantes dans le champ de l’expérience commune. Beaucoup de personnes d’ailleurs trouvent un certain esthétisme à la nature, cette dernière ornant les de plus en plus les intérieurs.

C’est un phénomène observable oui, et beaucoup dans les appartements parisiens je trouve. Sinon, plus généralement, je pense que nous assistons à un rappel à soi, à l’intime. Une réflexion qui nous conduit à repenser l’altérité entre nous, Hommes, et la nature

Finalement, ses magnifiques motifs de décoration, son côté esthétique, entre autres, n’est que l’un de ses multiples attraits. Elle est le reflet magnifique de la création, elle est une complice, un refuge, un temple propice au recueillement et à la méditation.

Vincent Jeannerot, Aquarelles botaniques, Galerie permanente à Lyon.

Crédit photo : Pivoine pourpre © Vincent Jeannerot