Avec Les bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho livre un panorama personnel et sensitif de la société brésilienne. Une société où la peur de la violence est omniprésente bien que celle-ci n’apparaisse jamais frontalement à l’écran.
Durant deux heures, nous allons vivre au rythme de la vie de ses habitants. João, Bia, Francisco, Clodoaldo, Sofia… Pour son premier long-métrage, Kleber Mendonça Filho nous transporte dans son univers quotidien puisqu’il habite la rue principale de Setúbal. A travers des destins croisés, il dépeint la société brésilienne à laquelle il appartient, sans concessions ni faux-semblants. Une société où la lutte des classes est encore une réalité prégnante.
Une société brésilienne fragmentée
Grâce à son prologue envoûtant, Kleber Mendonça Filho rappelle le passé de son pays natal où l’exploitation des travailleurs dans les plantations de canne à sucre a succédé à l’esclavage. Un passé encore très présent dans une société brésilienne fragmentée entre les riches et les pauvres : « Il y a des structures qui se maintiennent, détaille le réalisateur. Dans les rapports humains, rien de cette féodalité n’a véritablement changé. »
Setúbal est le quartier le plus prospère de Recife. Les intérieurs sont soignés, les femmes au foyer et chaque famille dispose d’une bonne. Autour des jardins se dressent des fils barbelés, chaque porte d’entrée est précédée d’une grille verrouillée, des barreaux brisent la transparence des fenêtres. João, l’un des personnages centraux, est agent immobilier. Il vante à une locataire potentielle un appartement flambant neuf dans une résidence surveillée 24h/24 et bardée de détecteurs. « C’est très moderne ici, on dirait presque une usine… », regrette la visiteuse qui finalement ne louera pas.
Les habitants de Setúbal vivent dans leur logement comme dans une bulle, protégés du monde extérieur. Chacun reste dans sa classe, à l’abri des « autres », surtout des plus pauvres. Ainsi lorsque la riche Bia sort de son garage en voiture et qu’elle écrase le ballon d’un enfant défavorisé qui jouait dans la rue, elle ne l’entend pas, ne regarde même pas la mine dépitée du garçon dans son rétroviseur.
Violence invisible
Mais de quoi se protègent-ils ? De qui ? Car c’est là toute la finesse de Kleber Mendonça Filho. Le réalisateur ne montre jamais ce que craignent ses personnages : la violence, les voleurs, les criminels. « Le film parle de cela : la peur d’un danger qui ne se concrétise jamais. » Le seul acte de délinquance évoqué intervient au début du film lorsqu’un auto-radio est dérobé dans une voiture garée dehors.
Rien de tel pour ameuter des mercenaires de la sécurité. En échange d’une cotisation payée par le voisinage, les gros bras s’engagent à surveiller la rue toutes les nuits. Une présence qui fait jaser. Dinho, petite frappe et petit-fils du plus riche propriétaire du quartier les met en garde : « Ce n’est pas une favela ici, la rue appartient à ma famille qui a beaucoup d’argent ! » La démonstration imparable que richesse rime avec pouvoir.
Kleber Mendonça Filho nous fait donc naviguer de jour et de nuit dans les rues de Setúbal, attentif à son architecture déstructurée (les tours modernes y poussent comme des champignons) et à ses bruits. Le bruit du vendeur de CD dans la rue, du chien qui aboie, des voisins qui se disputent, des travaux, du trafic routier dans le lointain… Le réalisateur a d’ailleurs travaillée pendant plus d’un an avec son équipe pour construire cet univers sonore. Un assemblage auditif essentiel pour la plongée dans ce film qui, bien qu’un peu lent, nous offre un panorama original et véridique du Brésil d’aujourd’hui.
- Les Bruits de Recife, de Kleber Mendonça Filho avec Irandhir Santos, Gustavo Jahn, Maeve Jinkings…
- La bande-annonce ici.
Lola Cloutour