Dans son dernier long-métrage, Ethan Coen met en scène un double road-trip : celui de deux femmes homosexuelles en quête de sens amoureux, poursuivies par deux pseudos mafieux en quête d’une mallette tombée entre les mains de ces dernières.

Drive-Away Dolls

Marianne n’arrive ni à séduire ni à rencontrer une partenaire pour une relation sérieuse. Jamie, au contraire, rencontre trop de femmes, et ne parvient pas à entretenir une romance sur le long terme. Les deux amies décident alors de partir en road-trip pour la Floride, non pas dans le but de se confronter aux conservateurs qui y habitent, mais pour rejoindre la famille de Marianne. Jamie prévoit également quelques arrêts indispensables afin d’aider Marianne à retrouver une vie sexuelle digne de ce nom. C’était sans compter sur les deux cowboys qui vont s’engager à leur poursuite. Elles ont, en effet, malencontreusement loué une voiture qui ne leur était pas destinée et dont le coffre cache une précieuse mallette.

Contrastant avec l’esthétique poussiéreuse du reste du film, une hypothèse de lecture pourrait être que le choix de la laideur est dicté par la grande désillusion des années 1990 et 2000 dont les frères Coen ont été les témoins. 

Une autoroute à double voie 

Deux road-trips ont donc lieu simultanément. D’une part, le film prend la forme d’une espèce de western policier poussiéreux. Le duo de mafieux – en chapeaux, lunettes de soleil et vestes en daim ou petit cuir – est à la poursuite de la mallette qui contient cinq godemichés dont l’un a été moulé sur le pénis du sénateur de Floride. Visiblement, Ethan Coen ne prend pas son film au sérieux – en dépit de la présence rassurante des références à Henry James, Steinbeck ou Gertrude Stein. Il semble s’amuser à retourner le genre du thriller policier et à en proposer une variation absurde. D’autre part, le duo féminin est observé dans le canevas d’une sorte de coming-of-age ou de teen movie pour lequel Marianne et Jamie sont définitivement trop grandes. Prévisiblement drôle, la destination du road-trip n’est autre que le leitmotiv (ou le poncif) de la rencontre amoureuse des deux amies terriblement opposées, trop aveuglées par leurs différences pour se rendre compte de leur complémentarité. C’est un autre détournement de genre, joyeusement exécuté. Les duos infernaux n’appartiennent pas au même monde et cette course poursuite en est d’autant plus comique. Les deux mafieux ne se rendent pas compte que les femmes qu’ils poursuivent ne sont pas des Thelma et Louise destinées à une fin tragique. Quand les mondes se croisent enfin, le duo d’hommes se fait mener en bateau, comme si, à dessein, Marianne et Jamie brouillaient les pistes. Loin des rebondissements de films policiers, c’est tout simplement qu’ils incarnent un monde obsolète et ne se sont jamais rendu compte de la réalité de leur monde à elles. Cette dualité des mondes se cristallise par exemple dans les nombreux bars qui défilent pendant le film. Le Ciceros dont le néon grésille dans la première scène du film laisse place au bar lesbien au décor à paillettes.

Aire de repos 

Le film est entrecoupé d’étranges scènes psychédéliques qui sont censées nous donner un indice sur l’enquête du film et le contenu de cette mystérieuse mallette. Ces scènes grossières invoquent ainsi les années 1960-70 et la libération sexuelle. Contrastant avec l’esthétique poussiéreuse du reste du film, une hypothèse de lecture pourrait être que le choix de la laideur est dicté par la grande désillusion des années 1990 et 2000 dont les frères Coen ont été les témoins. Désillusion vis-à-vis de cette contre-culture et de cette libération qui n’est finalement jamais advenue que dans un mythe cristallisé du passé. Les personnages des duos ne se définissent que par leur différence. Ce contraste est ainsi le prétexte à des scènes de dialogues prolixes, purs effets de style qui ajoutent à l’absurdité du film. Tous s’adonnent joyeusement à la stichomythie, dans le seul but de contredire l’autre et d’avoir la meilleure punchline. Ce film bavard n’est pas sans rappeler les scènes de voitures et les dialogues du Pulp Fiction de Tarantino. Si c’est le sang qui abonde chez l’un, Ethan Coen le troque pour les godemichés, les bites et les scènes de sexe, en quantité toute aussi absurde. La bande-son est réjouissante, mêlant les musiques de rock country et psyché aux compositions qui accentuent le suspense bidon et artificiel du film – élaborées par Carter Burwell, déjà présent sur Fargo, The Big Lebowski ou Arizona Junior. Sur cette toile de fond sur-référencée, Ethan Coen met en scène un duo dont le kitsch – version humaine du ridicule – peut faire penser à un nouveau Sailor et Lula de David Lynch qui lorgne incontestablement vers les années 1990 avec une certaine nostalgie.

  • Drive-Away Dolls, un film d’Ethan Coen avec Margaret Qualley et Geraldine Viswanathan. En salle le 3 avril.