Deux recueils de printemps, deux livres singuliers et délicats, qui disent l’individu dans la nature ou son espace, qui disent un geste du présent qui s’incarne à mesure que vient la parole : Le Matin des Pierres, de Guillaume Dreidemie, chez La rumeur libre éditions & La Ruée vers l’ombre, d’Arthur Billerey, aux éditions Empreintes.

Guillaume Dreidemie, Le Matin des Pierres, La rumeur libre éditions

D’un lyrisme l’autre, l’écriture de Guillaume Dreidemie joue le poète dans un présent sensible où affleure l’autre.

« Je te regarde

les yeux en nuit »,

contre-jour de ce vaste ciel plein de ses oiseaux lumineux et de ses sons vivaces. Et lentement

« Peut-être un oiseau rouge

l’œil perdu dans l’habitude de vivre »

Lentement, l’écriture vient à l’élégie, qui perce alors le décor qu’on aurait cru moins mélancolique et précisément le surgissement de cette mélancolie ouvre une autre voie du poème, bouscule en nous

« Devine

Ce qui me retient

De passer, semble-t-il,

à demain. »

Le poème épouse son ciel renversé dans ce temps qu’il faudrait retenir, et pourtant sans doute déjà fini, d’un dire si fragile et ému :

« Difficile de croire en nous

lorsqu’on nous regarde. »

Car

« C’est encore le jour où je mérite l’hiver

De ta bouche nue,

Plus vieille que l’amour

A croire qu’il fut réinventé. »

Et fût-il réinventé, c’est toujours autre qu’il se déploie dans les variations du chant, similaire pourtant, mythologie transéculaire du désir, et inflexion désirante du mot d’amour dans la bouche du poète.

« Nous aurons un murmure,

un mot le souffle rare

puis la nuit entrera, aveugle. »

L’obscurité qui guette comme un sentiment d’oubli, passage du temps sur les corps de l’histoire où se dénoue l’amour en perte, élégie dis-je, le poème qui capture ce que le temps délite avec le vice de la minutie. Car encore, aimer c’est avoir pu se souvenir et rendre au texte la parole qui innerve, les images et les corps, c’est répondre au galop de l’obscurité par la sinuosité du soleil vainqueur.

« Ses cheveux dans le soleil

donnent un sens à la lumière. »

S’il ne s’enferme pas dans la perspective testimoniale, c’est que le poème laisse se succéder les tableaux de l’histoire comme autant d’instants abandonnés au temps, pétris d’une nostalgie qui invite à saisir à chaque fois la virtualité douce de la mémoire au présent.

« nous luttons contre le silence

imbéciles que nous sommes

avec les moyens du bord de la rive et du ruisseau

trempés par les remous

nous sommes des noyés accomplis

nous avons toute la grâce du chien trempé

nous avons même l’odeur »

Délicat recueil que celui de Guillaume Dreidemie, délicat recueil encore celui qui dit où ploie l’humaine fragilité et cherche où demeurer.

Arthur Billerey, La ruée vers l’ombre, éditions Empreintes

Recueil qui croise l’éco-poétique à l’exploration d’un parole sensible et lyrique dans un monde en perdition, Arthur Billerey élabore son texte autour de la métaphore de l’ombre comme nouvelle conquête de lieux paisibles, saufs. Il allie les images écologiques à celles de la recherche d’un souffle, physique comme intérieur.

« il est écrit dans le journal

qu’il faut changer drastiquement

nos modes de vie nos habitudes

la viande saupoudrée de sel

l’avenir sur ta main que j’aime

le vieux pourquoi sous le comment »

Comme une gangrène menaçante, la chaleur qui se déploie, forme et matière, littérale et figurée, s’empare des corps et les déjoue.

« ce qui nous frappait le matin

de haut en bas de droite à gauche

nous achevait la nuit venue

nous ne dormions même plus nus »

Et que dire alors du devenir historique de ces corps dans un anthropocène qui se défait, dans une brûlure qui ronge le présent ?

« un jour il y aura autre chose

que l’ombre courante et connue

comme le loup blanc entre les roses »

Chercher nos ombres, quand

« elles semblent fuir nos corps

comme on efface une empreinte

mais qui suis-je pour juger

l’abandon qui reste brûlure ? »

Car le poème, s’il donne à penser l’histoire et l’implication du sujet dans l’histoire c’est précisément dans son rapport à autrui. D’abord dans l’importance de la transmission – que dire de l’enfance qui joue au ballon sur le bitume si le bitume fume et se fera brasier où se fondre ? – ensuite dans le rapport aux autres individus : quel est ce semblable qu’éloigne ma brûlure ?

Aussi,

« le don pour certains est un soir comme les autres

qui tombe sur la chaussée à la même heure

tu donnes je donne à la mode de nos corps

le regard le visage et la langue neutre »

Car le don est rendre au territoire en commun le partage du midi en flammes, rappeler le geste qui lie l’un en l’autre où l’ombre devient le lieu de l’hospitalité. Beau recueil que cette Ruée vers l’ombre qui s’épargne tout discours moralisateur pour lui préférer l’évocation délicate d’une poésie sans pathos mais d’une parole intime qui cherche à faire advenir le visage du commun et d’une main tendue.

Crédit photo : DR Rodolphe Perez