Le Festival d’Avignon peut aussi être l’occasion d’éveiller au théâtre et d’emmener les plus ou moins jeunes à découvrir ou approfondir le monde de l’art dramatique. Zone Critique vous propose une sélection coup de cœur de spectacles pour les petits, les moyens et les grands qui par leur grande finesse nous témoignent, une fois encore, que le spectacle “Jeune Public” a toute sa place dans la programmation.

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Pour les tout-petits et les grands – Quand les corbeaux auront des dents

Quand les corbeaux auront des dents témoigne que le spectacle dit “jeune public” n’est pas contraint à rester dans un cadre de politiquement correcte.

Quand les corbeaux auront des dents de Silvia Di Placido et de L’Espèce de compagnie est une adaptation libre du livre La saga du Grand Corbeau de Sharon Stewart pour théâtre d’objets et de marionnettes. La pièce raconte la quête du corbeau Tok vivant avec sa colonie sur le Mont-Tonnerre. L’hiver est féroce et les corbeaux manquent de nourriture. Tok entend alors la légende d’un autre temps où les corbeaux travaillaient de paire avec les mystérieux “Prince-Gris” pour chasser et vivre dans l’abondance. Tok décide alors, pour sauver sa colonie, de partir à la rencontre de ses “Princes-Gris” et de survoler le monde des étranges et dangereux “deux pattes” et leur “bâton de foudre”.

L’œuvre est un conte pour sensibiliser à l’écologie et questionner la cohabitation des hommes avec les espèces sauvages. L’utilisation des objets est habillement menée et permet de rendre visible la pérégrination et l’évolution du héro. Les changements de point de vue : de la manipulation sur la table à l’incarnation dialoguée au micro, permettent des changements d’échelle qui rendent vivant et ludique ce voyage. La marionnette du corbeau des villes est troublante, et sa manipulation donne vite des goûts de plan large dans les films d’animation. Ce sentiment est soutenu par les chants joyeux, cyniques parfois, composés par Pierre Omer qui nous confortent dans l’envie d’envoyer le synopsis tout droit à Dreamworks ou Disney.

Quand les corbeaux auront des dents témoigne que le spectacle dit “jeune public” n’est pas contraint à rester dans un cadre de politiquement correcte. Les actrices s’autorisent un spectacle à double lecture avec des adresses aux adultes et des références d’actualité. Elles s’autorisent à traiter des sujets avec de l’humour noir : la chanson des corbeaux qui mourraient de froid. Elles abordent aussi des sujets graves sans faux-semblants : la folie de la démesure dans la chasse aux loups – comment les médias, l’opinion public et lobby de la chasse persistent et signent dans cette légende urbaine que le loup tuerait l’homme. Si le spectacle donne des clés et des pistes de réflexion pour penser son harmonie avec le monde du vivant, il ne se cache ni de l’urgence ni de la gravité de la situation. Sur le flyers on peut lire : “Merci à nos partenaires et dommage pour les 52 560 espèces vivantes qui ont disparu de la planète pendant la création de ce spectacle.” Un spectacle intelligent, authentique et vrai pour sensibiliser et pousser les jeunes pousses à activement protéger le vivant.

• Quand les corbeaux auront des dents du 11 au 25 juillet – 16h10 – Le Totem Art, Enfance, Jeunesse

Pour les petits et les grands – Dominique toute seule

 L’histoire de Dominique porte en elle un kaléidoscope d’éclats d’humanité, de nature, de poésie et de lumière.

Dominique toute seule, première création de la metteuse en scène Marie Burki par la compagnie Au détour du Cairn, est un conte d’une grande finesse à propos de la solitude, la précarité, la dépression et la résilience. Les deux comédien.ne.s Garance Durand-Caminos et Tom Geels nous racontent l’histoire de Dominique qui est persuadée d’être en train de disparaître et va bientôt finir par quitter ce monde. Dominique incarne la marge, la difficulté à suivre le mouvement parfois effréné de la société, et se voit forcée à quitter sa maison faute de loyers impayés. Puis, sans but, elle s’aventure dans le premier bus venu qui la conduira au cœur d’une forêt. Commence alors une longue errance pour Dominique qui cherche à trouver non pas sens à sa vie, mais à rencontrer la “dame à la robe multicolore” pour qu’elle prenne “ses couleurs et sa voix.”

Le conte est minimaliste : quelques projecteurs, un écran, deux, trois accessoires et notre imagination. Ce qui habite la scène, ce sont déjà les regards francs et chaleureux de Garance Durand-Caminos et Tom Geels. Il.elle.s ont tout deux l’œil pétillant et complice, le sourire qui pointe sur les lèvres et portent un jeu d’une grande générosité, qui nous pousse toujours à les écouter avec appétit. Et puis, ce qui envahit la scène ce sont les splendides chants et compositions originales de Gilles Péquignot et Tom Geels. Sur des airs aux inspirations celtes et de l’Est de la France, les acteuri.ce.s nous font voir les paysages qui se tissent autour d’eux : d’un trajet en bus à l’arrivée dans la forêt parfois accueillante, parfois hostile. L’univers s’étoffe de plus en plus et nous nous réjouissons de rencontrer des personnages très attachants : les herbes bien appétissante de la clairière, le rocher avenant qui aimait Céline Dion, la garde forestière – peut-être un peu seule elle aussi…

Dominique toute seule est construit dans une grande intelligence sensible et touche, peu importe l’âge de l’auditoire. La pièce considère les enfants comme des spectateur.ice.s à part entière et ne craint pas de tricoter avec des sujets graves. L’histoire de Dominique porte en elle un kaléidoscope d’éclats d’humanité, de nature, de poésie et de lumière. Elle amène, tout en douceur et en finesse, à penser et à éprouver de l’empathie, et invite tout un chacun à s’interroger sur les bonheurs du monde et à mieux comprendre les êtres et le monde qui l’entoure. Un conte superbe, lumineux et sensible.

• Dominique toute seule du 06 au 27 juillet – 9h30 – Théâtre des Doms

Pour les bientôt grands et les grands – Euphrate

Avec beaucoup d’humour et d’intelligence Euphrate nous embarque bien au-delà du plateau de cette boîte noire, dans un voyage introspectif qui rassure et qui fait du bien

Euphrate de Nil Bosca est un seule en scène touchant et brut d’émotions autour de l’histoire d’Euphrate, lycéenne perdue dans ses choix d’orientation professionnelle qui la conduisent dans une quête plus grande d’introspection et d’identité. Cette pièce ne peut être que sincère, puisque l’autrice et comédienne Nil Bosca partage son histoire au travers du personnage d’Euphrate Tosca. Malgré tout, nous sommes assez scotché.e.s par la performance de l’actrice qui nous embarque pour 1h10 sans qu’aucune longueur ne se glisse. La très grande corporalité de la comédienne également danseuse lui permet d’incarner avec une facilité et crédibilité déconcertante les différents personnages qu’elle va croiser sur son chemin : son père qui espère de tout cœur que sa fille devienne docteur, sa conseillère d’orientation aux influences chamaniques et Afife Jale, première actrice musulmane turque. Sa quête d’identité va la conduire à renouer avec ses racines paternelles Turques délaissées pour celles Française de sa mère. Ses dialogues imaginés entre toutes ces figures qui l’aideront dans son périple sont entrecoupés de moment de danse, dont les mouvements renvoient fortement au popping. Ces passages chorégraphiés sont des temps d’inspiration, le choix du popping s’y prête particulièrement car il illustr les envies multiples d’Euphrate, saccadées et bloquées dans leur élan.

Ce qui touche particulièrement dans cette pièceest que ce témoignage vient bouleverser l’idée reçue du parcours APB ou ParcourSup que la vie après sera toute tracée. La pièce renvoie à ce moment presque absurde où des jeunes de 18 ans devront choisir une formation pour un métier, sans rien avoir connu de la vie professionnelle, en ne pouvant croire que les histoires de leurs parents. Pourtant, la vérité est tout autre, faite de tâtonnements et de demi-tours. Sur la ligne de départ de la course pour la réussite, Euphrate dit ne pas être sur un cheval contrairement à toutes les personnes qui l’entourent mais sur un chameau. Sans doute, nous sommes très nombreux.euses à chevaucher un chameau, et c’est pourquoi il est bon de trouver au plateau une histoire autoroute  comme un mythe du “selfmade man” mais avec ses esquisses, ses hésitations et ses doutes. Avec beaucoup d’humour et d’intelligence, Euphrate nous embarque bien au-delà de cette boîte noire théâtrale, dans un voyage introspectif qui rassure et qui fait du bien : finalement même les chameaux franchiront aussi la ligne d’arrivée.

• Euphrate du 07 au 26 juillet – 12h40 – Théâtre du Train Bleu

Trois tout public plein de lumière, d’humour et d’intelligence qui considèrent, respectent et s’adressent aux plus jeunes autant qu’au plus grands, en abordant des sujets qui nous accompagneront toute notre vie durant.