Tout le mois de juillet, Zone Critique vous fait vivre le festival d’Avignon In et Off. Dans le Journal d’Avignon, retrouvez les conseils et critiques de chacun.e de nos rédacteur.ices présent.e.s en terre papale. Aujourd’hui, on vous propose un petit tour Off du côté des arts de la manipulation, du masque et du mouvement avec une sélection de six spectacles remarquables.

Le plus mignon : La maison du masqueet du mime

House of Mask and Mime

Jusqu’au 29 juillet à la Chapelle des Italiens, La maison du mime et du masque présente six histoires courtes à la croisée du clown, du masque et de la marionnette. Leur lien ? Une langue poétique qui se créé d’abord avec le corps et développe un répertoire d’images singulières qui sont autant d’odes à la douceur, à l’amour et à l’imaginaire.

Mutiques ou bavards dans une langue que l’on ne comprend pas, les personnages drolatiques de cette troupe thaïlando-japonaise nous tendent le miroir de nos petits drames et de nos grandes tragédies. Exclusion sociale, rupture amoureuse, attaque d’émoticons ou folie des grandeurs : chaque scène est l’occasion pour les comédiens de se mettre au service de l’histoire et de s’effacer pour faire briller le sens.

Une esthétique un poil kitsch qui vous rappellera peut-être le mignonisme, mouvement créé par Philippe Katerine et conçu comme un ensemble d’œuvres plastiques faites d’objets du quotidien. Sur scène, des abat-jours, des aimants, des peluches géantes, des mètres et des bouts de papiers découpés viennent conjurer le sort d’un monde qui part en vrille. Un théâtre sensible fait de « bouts de ficelles » savamment tirées. Retour en enfance garanti.

Un conseil : gare à l’œil qui jute !

  • Du 7 au 29 juillet 2023 à la Chapelle des Italiens à 19h45 (relâches : 11, 18, 25 juillet)
  • Compagnie
  • Mise en scène : Kazumi Ishigami
  • Interprète(s) : Kazumi Ishigami, Annop Kitkason, Nuttapol Kummata, Kwin Bhichitkul
  • Productrice : Lisa Sripatanasakul

Le plus explosif : Vue

Cie Sacrekripa

À l’origine il y avait Vu, spectacle iconique de la compagnie Sacekripa créé et interprété par Etienne Manceau en 2012. Et puis il y a eu ce désir de transmettre le rôle, ou plutôt de le partager avec la comédienne Amélie Vénisse. Vue, c’est donc la version féminine de ce seul-en-scène clownesque qui parle de nos micro-folies, des petites fêlures du quotidien derrière lesquelles se cache la menace constante d’une crise de nerfs. Stricte, engoncée dans son tailleur, la femme s’apprête à prendre un thé. Elle est trop grande, la table trop petite. Elle est trop minutieuse, la tâche est trop simple. Et voilà qu’un cirque miniature se déploie sous nos yeux depuis le fond d’un tiroir plus garni que le sac de Mary Poppins.

« Tu crois que c’est moi qu’elle regarde là ? » me murmure mon voisin légèrement paniqué. J’acquiesce, c’est bien sur lui que ces deux yeux bleus et froids sont braqués. À son tour, il devient l’objet de cette femme trop adroite pour être honnête et que l’on découvre totalement pyromane et accro à la fumée de tout ce qu’elle peut faire brûler. S’installe alors un rituel dont chaque étape est teintée d’une défiance complice entre le public et le personnage. On trépigne : quelle génial tour va-t-elle inventer pour réenchanter un geste aussi simple que verser un nuage de lait dans une tasse de thé ? Elle exulte. Car enfin que cherche cette clown à la colère virtuose si ce n’est un peu d’attention et la certitude d’être de nos yeux vue ? Rire garanti.

  • Du 8 au 26 juillet 2023 au Théâtre du Train Bleu à Avignon à 11h (jours pairs). Spectacle en alternance avec Vu interprété par Etienne Manceau (jours impairs).
  • Mise en scène : Etienne Manceau
  • Avec Amélie Venisse

Le plus déroutant : Mon Bras

Studio Monstre

Dans un seul-en-scène geek et absurde, Théophile Sclavis propose une version frenchie de Mon Bras, texte faussement autobiographique de Tim Crouch. Pendant le festival, c’est dans une salle de classe que se donne la conférence de ce personnage à l’histoire déconcertante. Enfant, il décide de vivre avec un bras en l’air pour tromper l’ennui et le gardera ainsi jusqu’à sa mort. Dans son pull jaune, couleur de fou, le « gamin au bras » retrace cette anti-épopée, des moqueries de la cour d’école à la fascination médicale jusque dans le milieu de l’art contemporain où il deviendra lui-même une œuvre à vendre.

« Que se passe-t-il si je ne fais rien ? » Ce texte interroge ce qui fait une œuvre d’art et plus spécifiquement notre rapport aux arts vivants. Une question que la recherche plastique effectuée par la compagnie Studio Monstre pour reconstituer un corps à l’aide d’objets, de vidéos et de photomontages permet de faire jaillir dans un sourire pincé presque cynique.

Adroit, le traitement du personnage à l’identité volontairement trouble me fait penser à une sorte de Malcolm (« In the middle »), un garçon a priori ordinaire, un peu sale gosse et « tête d’ampoule ». Sauf qu’à l’inverse du héros de la série télé, le protagoniste de Tim Crouch cherche à s’écarter de la norme et sans aucune ambition politique, religieuse ou sociale, parvient par un geste insignifiant à devenir l’expression d’un anticonformisme pas si passif. Un spectacle à dormir debout plein de malice qui se distingue par son originalité et l’intelligence de sa mise en scène.

  • Du 9 au 26 juillet 2023 au théâtre Le 11 à Avignon à 11h (relâches : 13, 20 juillet)
  • Texte Tim Crouch
  • Traduction de l’anglais Théophile Sclavis et Éléonore Sclavis
  • Conception Studio Monstre
  • Avec Théophile Sclavis

Le plus émouvant : Poussière

Véronique Lesperat-Hequet

Dans un dispositif minimaliste et onirique à hauteur d’enfant, Sophie Mayeux et la compagnie Infra présentent Poussière au Théâtre du Train Bleu jusqu’au 26 juillet. Derrière le grand rideau à triple foyers qui n’est pas sans rappeler l’univers de la magie se cache une capsule cylindrique. À l’intérieur, un micro-monde post-apocalyptique couvert de cendres apparaît. Après un ballet de poussière et de fumée hypnotique qu’accompagne une composition musicale révélatrice du chaos à l’œuvre, des mains créatrices viennent réparer avec douceur la vie brisée en mille morceaux.

Une tête, un buste, un bras, puis l’autre. Le premier être après la fin du monde se reconstruit et s’anime sous nos yeux. Spectacle au décor lunaire né de la découverte des corps moulés dans les ruines de Pompéi, Poussière est une ode à la vie et à son mystère : sa capacité à renaître dans les conditions les plus hostiles.

L’incroyable palette d’émotions que convoque l’imaginaire de ce spectacle mérite aussi d’être soulignée. On s’émerveille avec le personnage quand il découvre le monde, on pleure avec lui devant sa solitude et on sourit de le voir essayer d’apprivoiser une jambe folle qui lui refuse obstinément ses services. Un conte sur la résilience marqué du sceau de la sobriété qu’illumine une grâce porteuse d’espoir.

  • Au Théâtre du Train Bleu du 7 au 26 juillet (relâches : 13 et 20 juillet)
  • Mise en scène Sophie Mayeux
  • Avec Coline Ledoux, Tim Hammer

Le plus queer : Le songe d’une nuit d’été

Véronique Vercheval

Revêtez votre plus beau cuir et allez découvrir Le songe d’une nuit d’été comme vous ne l’avez jamais vu. Dans ce « Shakesqueer » présenté par la compagnie belge Point Zéro et le Théâtre de Poche, la comédie athénienne se déroule dans une sorte de raveparty féérique peuplée de créatures non-binaires défoncées à la fleur hallucinogène.

Savoureux mélange de clown et de marionnette, ce spectacle révèle magnifiquement la nature métathéâtrale de ce texte, que les comédien·ne·s prennent un pied furieux à nous partager.   Un plaisir qui se propage immédiatement dans le public, porté par l’agilité chorale explosive de cette équipe arc-en-ciel : les rôles s’échangent, les pas s’emboîtent et les voix s’entremêlent à un rythme tellement effréné qu’à la fin on se demande qui du pantin ou du/de la marionnettiste mène la danse. De l’illusion (théâtrale) on se moque volontiers et on renoue avec une truculence élisabéthaine qui fait du bien par où elle passe.

Queer jusqu’au bout des ongles, on rêve ce songe en inclusif. À l’indétermination des lieux qui caractéristique de cette pièce répond ici celle des genres, libérant les personnages des clichés pour mieux révéler l’essence du désir. Enfin, impossible de ne pas penser au cabaret dans cette mise en scène où les marionnettes sont les poly-avatars de celles et ceux qui les animent, les faces cachées d’identités qui se mettent généreusement en partage. Mention spéciale aux jeux de jambes incroyables d’Obéron (Adrien de Biasi) et Titania (Fabrice Rodriguez), deux Queens cosmiques sous acides qui rendent un bel hommage à l’art drag. Promis, « c’est de la bonne. »

  • Du 7 au 26 juillet 2023 au 11 d’Avignon (relâches : 13 et 20 juillet)
  • Mise en scène Jean-Michel d’Hoop
  • Avec Ahmed Ayed, Adrien De Biasi, Soazig De Staercke, Amber Kemp, Nicolas Laine, Héloïse Meire, Fabrice Rodriguez, Simon Wauters

Le plus beau : Fall and Flow

C. de Héricourt

Jusqu’au 27 juillet à Avignon le Théâtre de la Feuille présente Fall and Flow, une comédie non verbale de « Wuxia », genre traditionnel martial et chevaleresque. Pour cette création originale présentée pour la première fois en France, Ata Wong Chun Tat, directeur artistique de la compagnie s’associe à Johnny Tang, chorégraphe de films d’action de Hong Kong.

Sur la scène nue, une corde blanche dessine un cercle parfait. C’est le ring sur lequel s’affrontent ces étranges clowns au nez noir venus d’un temps immémorial dans une fresque épique en six tableaux fascinants. Entrainée aux arts martiaux et aux techniques de cascade, la troupe incarne des seigneurs, des guerriers, des mendiants et des voleurs de grand chemin dans des scènes de combat à la partition millimétrée. Étonnante, cette violence sans barbarie fait naître dans notre imaginaire les décors majestueux d’un cinéma hongkongais qui n’est plus. D’une ville-monde que les agitations sociales forcent à se replier sur elle-même. Fall and Flow est un acte de résistance contre ce repli, un manifeste de résilience qui prend racine dans les histoires fantastiques de héros martiaux invoqués pour retrouver l’essence d’une société plongée dans le chaos.

Dans ce spectacle, on retrouve la poésie de l’espace vide de Peter Brook, autant que le théâtre physique occidental de Jacques Lecoq que les arts traditionnels orientaux viennent sublimer dans une extraordinaire sobriété. Une esthétique que l’on retrouve dans les costumes de tulle noire d’une élégance folle qui soulignent la noblesse du mouvement et des caractères. En fond de scène un musicien accompagne les tableaux de rythmes, chansons et ondes sonores, armes pacifistes qui parviennent progressivement à briser le cycle de la haine. Une création importante et d’une exceptionnelle beauté qui mérite de rayonner dans le monde entier.

  • Du 7 au 27 juillet au Théâtre Golovine (relâches : 10, 17, 24 juillet)
  • Mise en scène Ata Wong
  • Avec Mei Ling Chow, Mei Han, Chun Kiu Ko, Pui Ki Ku, Chi Yip Kung, Tsz Ho Wong, Hin Wun Man, Chun Hang Pong, Tin Ching Tai, Joey Yu

Crédit photo : (c) C. de Héricourt