Lecture de Qohelet par Noam Morgensztern - La Bible des écrivains

Plus de vingt ans après la parution de la Bible des écrivains aux éditions Bayard, une nouvelle version est proposée aux lecteurs, mais aussi…aux auditeurs. En effet, cette traduction de la Bible a intégralement été mise en voix par Noam Morgensztern, de la Comédie Française. Un projet titanesque qui permet véritablement de donner à entendre une parole vivante et incarnée. 

« Frédéric Boyer est un écrivain de mon âge qui, en 1995, a convaincu l’éditeur catholique Bayard d’ouvrir un énorme chantier : une nouvelle traduction de la Bible. Chaque livre serait confié à un écrivain et à un exégète, qui collaboreraient étroitement. La plupart des exégètes étaient des gens d’Église, la plupart des écrivains étaient athées. » C’est par ces mots qu’Emmanuel Carrère présente dans Le Royaume ce projet proprement colossal dans lequel il s’est investi. Cette Bible des écrivains est ordonnée par deux principes. Le premier, c’est que la multitude d’écrivains rendent compte de la diversité des genres et des écritures qui travaillent le texte biblique. Le second, c’est de parvenir à revenir au caractère profondément novateur de ce texte, à le dégager des formules stéréotypées et merveilleuses. La Bible, ce livre du fond des âges, objet aussi familier qu’il nous est étranger, est comme ressuscitée par un ensemble d’écrivains et de savants qui parviennent à redonner au texte son étrange beauté. 

Ainsi, par une forme de feuilletage temporel très étrange, les pages matricielles et immémoriales de la Bible se parent des couleurs de la poésie la plus contemporaine. Ce télescopage est particulièrement perceptible dans la traduction du Cantique des Cantiques proposée par Michel Berder et Olivier Cadiot :  « Jardin fermé / ma sœur / Fiancée / Source fermée / onde / Scellée / Tes rameaux / un paradis de grenadiers / Fruits merveilleux / Henné / nard / Nard safran cannelle / cinnamome ». Les images florales et fruitières associées à ces formes brèves et scandées donnent un caractère énigmatique et enthousiaste au texte que René Char n’aurait pas renié. La mise en musique par Théophile Blanckaert et la mise en voix du Cantique des Cantiques  par le comédien Noam Morgensztern est proprement exceptionnelle parce qu’elle permet de réactualiser ce texte en couvrant les mots d’un voile de sensualité et de mystères. 

Une aventure organique

Cette Bible sonore propose une traversée de 103 heures dans une forêt de récits, poèmes, chroniques judiciaires, histoire de mœurs, témoignages dont il est impossible de sortir indemne. Le texte transforme la voix du comédien qui se fait tantôt caressante, tantôt cruelle, pour faire entendre à l’auditeur la variété infinie de ce texte. Noam Morgensztern l’explique de la façon suivante : « S’il y a un discours, je l’adresse ; s’il y a un cantique, je chante ; s’il y a un poème, j’y plonge ; s’il y a un éloge, une prophétie, un oracle, une lettre…je m’adapte ». Dans cet extrait de l’Ecclésiaste, on redécouvre ainsi pleinement le texte sublime et inquiétant qui se présente comme une méditation sur la valeur de la sagesse elle-même. Cette traduction de Jacques Roubaud, sublimée par la mise en voix de Morgensztern propose véritablement quelque chose de nouveau sous le soleil. 

Écouter la Bible des écrivains, c’est vivre l’expérience du flux, c’est se laisser surprendre par la voix du texte. Une forme de continuité de l’émotion se dessine depuis les déserts de l’Ancienne Alliance jusqu’à la grotte de l’Apocalypse. Bénéficiant des dernières innovations sonores, l’usage du son binaural, c’est-à-dire d’une technique qui restitue l’écoute naturelle en trois dimensions, permet une approche intime. On a ainsi l’impression que le texte ne s’adresse qu’à nous. La Parole devient alors doublement vivante, à la fois par la modernité de la traduction et par celle de la voix. 

Illustration : Lecture de Qohelet par Noam Morgensztern – La Bible des écrivains