Une clown et sa tarte à la crème, un jongleur de guitares, un funambule au visage très sérieux, un équilibriste qui saute dans le vide quand la lumière s’éteint, une trapéziste pailletée… Devant Low Cost Paradise, on a d’abord le sentiment de retrouver des héros et des héroïnes d’un passé que l’on reconnaît à son charme un peu désuet. Ils et elles nous accueillent en fanfare sous leur chapiteau, tout en couleurs et en clowneries. Pourtant, il y a quelque chose d’un peu étrange et différent, qui détonne avec les souvenirs d’enfance : ces artistes-là, réuni·es dans un paradis perdu, n’ont rien de naïf et d’innocent.

Nous entrons dans un royaume alternatif, nostalgique, ombreux et mélancolique, un paradis du spleen et de l’oubli

Le ton s’assombrit très vite : nous entrons dans un royaume alternatif, nostalgique, ombreux et mélancolique, un paradis du spleen et de l’oubli. Dans ce spectacle qui n’a, lui, rien de « low cost », la troupe du Cirque Pardi! invente un paradis qui tente de résister au rabais, une dernière tentative de rêve dans un monde qui refuse toujours un peu plus d’être sublimé. Avec acharnement, puissance, poésie et malgré le désespoir qui guette, ils et elles se font les garant·es d’un cri et d’une vitalité.

Rires et sanglots

Pendant près d’une heure trente, cette bande de clowns déploie une énergie gargantuesque pour activer notre imaginaire, nos rêves et nos désirs : ils et elles font tout pour combler le vide, se moquer du réel et mettre du sens à des endroits qui n’en ont plus vraiment. Profondément drôles et bouleversants, ces personnages semblent toujours traversés par le doute et le drame, même dans les scènes les plus carnavalesques.

Certains parlent et d’autres non, mais tous se placent à leur manière à l’endroit d’un discours. Parfois, ce sont les corps qui parlent le moins qui en disent le plus : on pense notamment au clown de Marta Torrents et au cyclisme jonglesque et trompettique de Julien Mandier, qui, tous les deux, terrassent nos cœurs de leurs silences et de leurs regards si incarnés. L’une des forces de Low Cost Paradise réside dans sa grande théâtralité et sa capacité à passer toujours d’un registre à l’autre : tous·tes les artistes portent en elles et eux une grande et exigeante expressivité.

Cirque du possible

Sous couvert d’une absurdité et d’un « hommage à la confusion », le Cirque Pardi! propose en réalité un voyage sensible et esthétique extrêmement construit, aux fortes inspirations cinématographiques : les artistes se débattent sans cesse au milieu de jeux d’ombres et de lumières et de décors précaires mais évocateurs, qui multiplient les prismes de cette fiction claire-obscure. La piste de cirque a ici quelque chose du plateau de cinéma, ou plus métaphoriquement, de la fabrique de rêves, où tous les actes techniques se font à vue.

Cette bande de clowns déploie une énergie gargantuesque pour activer notre imaginaire, nos rêves et nos désirs

La musique a une place prédominante dans la création de cet univers à la fois enchanteur et désenchanté : aux sonorités des chants et des instruments joués en live résonnent des cadences sourdes et rythmiques et des effets de crescendo, qui créent parfois un sentiment de compte à rebours. On se laisse tout à fait embarquer par ces mélodies parfois déchirantes, et l’on finit, nous aussi, par chanter en chœur ces litanies d’un paradis imparfait.

Low Cost Paradise est une grande fantasmagorie de cirque qui ne cède jamais au premier degré : c’est un spectacle qui se moque de son propre sérieux et qui réussit avec brio à désamorcer le tragique tout en l’embrassant. C’est la poésie d’un seau d’eau sur un parapluie, la joie d’un jet de confettis, la beauté d’un corps qui tombe, l’absurdité d’un coup de revolver et l’éphémérité d’une cigarette qui se consume.

  • Low Cost Paradise, une création collective conçue et interprétée par Antoine Bocquet, Carola Aramburu, Julien Mandier, Maël Tebibi, Marta Torrents, Eva Ordoñez (en alternance avec Anna Von Grunigen), Elske Van Gelder, Maël Tortel (en alternance avec Elouan Hardy), Timothé Loustalot Gares et Janssens Rillh. Jusqu’au 17 décembre 2023 à L’Azimut (Espace Cirque).

Crédit photo : Low Cost Paradise © Circusögraphy