Ces « visages hirsutes » sur fond rouge carmin, placardés sur les murs des villes françaises, ce sont ceux des vingt-trois résistants appartenant au FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) et qui furent exécutés sur le mont Valérien en 1944, après une campagne de propagande anticommuniste et antisémite menée par les nazis. Parmi eux, Missak Manouchian (1909-1944), apatride d’origine arménienne, membre fondateur du groupe de résistance qui lui vaudra sa mort, récemment entré au panthéon avec son épouse Mélinée Manouchian, fut également poète. 

Missak Manouchian

Manouchian, très tôt côtoie la grande violence – son père, résistant arménien, trouve la mort pendant le Génocide arménien – la condition d’orphelin, l’exil, et découvre plus tard en s’installant en France, tout un monde nouveau : ce que cela signifie d’être considéré comme un « étranger », où qu’il aille. À Paris, Missak étudie la littérature française à la Sorbonne en auditeur libre et commence à écrire des vers dans sa langue maternelle, l’arménien. Ce passé pénible, cette angoisse qui lui colle aux os, et ces réminiscences incessantes qui agitent ses nuits, il les mettra désormais dans ses poèmes. 

« J’ai laissé derrière moi mon enfance au soleil nourrie de nature, / Et ma noire condition d’orphelin tissée de misère et de privation ; / Je suis encore adolescent ivre d’un rêve de livre et de papier, / Je m’en vais mûrir par le labeur de la conscience de la vie. » 

Les poèmes réunis dans ce recueil (publié aux éditions Points) sont empreints d’un très grand sentiment de solitude, d’ennui, une mélancolie dévorante, appesantie par le poids des souvenirs. Parcourant sans fin ses souvenirs, Manouchian déploie à travers l’écriture poétique tout un monde d’images rétrospectives, de paysages sauvés de l’enfance, d’émotions tirées du passé, qui vivent encore, brûlent entre les lettres et les mots. La plume de Manouchian, d’une extrême sensibilité, évoque en filigrane la violence faite à l’homme, le sentiment d’isolement qui irrigue un homme en proie à sa solitude.  

« Je suis une île jetée loin de la terre ferme… / Une ville engloutie par la ...