Pour son premier long-métrage, la réalisatrice espagnole Ainara Vera suit deux sœurs. L’une navigue dans l’Arctique, tandis que l’autre, en France, attend un enfant. Le documentaire repose tout entier sur le contraste entre distance géographique et proximité émotionnelle. 

Deux continents, un océan entre elles et un seul thème : l’amour maternel. Hayat exprime sa souffrance face à cet amour qu’elle n’a jamais connu tandis que Leïladécouvre ce nouveau sentiment en tenant dans ses bras sa fille qui vient de naître. Comment construire sa vie sans ce pilier ? Comment suffire à son enfant ? Polaris documente les doutes et les réponses des deux sœurs, toutes les deux identiquement isolées. Aux paysages éblouissants des grandes mers du Nord succèdent les images d’un appartement commun, mais la solitude et les questionnements restent les mêmes. Un grand amour sororal et un téléphone, tant qu’il capte du réseau, voilà la ligne que la réalisatrice exploite durant un peu plus d’une heure.

Filmer l’intime

La tempête sature le son et l’image, l’horizon est blanc. Peu à peu apparaît une silhouette, entre gris et noir, qui lutte ; une voix superposée se mêle alors au vent hurlant. Hayat parle d’une mère qu’elle n’a jamais eue. Alors que la voix se livre entièrement, la silhouette est lointaine, comme inaccessible ; ce qui est dit cherche à ne pas être vu. Ce premier plan incarne parfaitement l’attitude d’Hayat : ses confidences ne se font qu’en voix-off tandis que son visage et ses manières restent froides à l’image. Les moments où ses traits s’adoucissent sont rares, mais d’autant plus marquants ; on pensera notamment à cette quiétude une fois qu’elle est immergée dans l’eau chaude, et à son expression émouvante de sérénité reprise pour l’affiche du film. Avec Leïla, le documentaire devient autre. Elle se livre intimement à la caméra, en la laissant recueillir des images d’elle sur son lit d’hôpital, avant d’accoucher, puis en demandant à la caméra d’approcher pour mieux filmer son enfant qui repose sur sa poitrine, dans ce qui est sûrement la plus belle scène du documentaire. Il n’y a plus ni distance ni méfiance. Les tons sont plus doux, les plans plus rapprochés. Le spectateur fait partie de son cercle intime. 

Cette différence notable entre les deux sœurs est un des intérêts du documentaire. L’on pourrait cependant regretter la présence de cette voix-off illustrant les émotions et les problèmes d’Hayat. Le spectateur ne peut rien deviner ; tout lui est dit, plusieurs fois. Il aurait été intéressant de lui laisser le temps de comprendre par lui-même la situation, au travers des discussions et des attitudes des deux sœurs, d’autant plus que Leïla est plus naturellement portée aux confidences. Le discours prend souvent le pas sur l’image et l’épanchement paraît forcé, superposé au visage impassible d’Hayat gouvernant son navire. Or, c’est bien souvent  par son image que Polaris étonne, en jouant avec la profondeur du paysage ou sa matérialité lors de plans plus abstraits, plus plastiquement recherchés. On sent une fascination pour les éléments naturels, une fascination qui les tord, les modèle et les rend méconnaissables en les filmant de si près. 

Cap unique

La caméra ne se détache jamais de Hayat et Leïla. Les autres personnages sont relégués à des rôles de figuration ; en un sens, ils n’existent pas. La réalisatrice souligne ainsi l’isolement social de ces deux sœurs qui ne communiquent qu’entre elles. Plusieurs plans traduisent cette solitude, à l’image d’Hayat, de nuit dans le froid, dos à l’atmosphère chaude d’un cours de danse qu’on aperçoit à travers la vitre. Coupée du monde, elle fume. Leïla aussi fume. Si sa fille se met à fumer un jour, elle l’engueulera, mais elle fume. Seul héritage de sa mère.  

La fin se présente donc comme une évidence dans ce documentaire mono-thématique.

Qu’est-ce que Polaris ? Le récit de deux femmes qui veulent « briser le cercle » d’une malédiction familiale. Leila veut élever avec amour sa fille. Hayat semble plus indécise, entre désir de fuite en avant et envie d’accompagner cette nouvelle vie, avec l’espoir de combler tous les besoins de cet enfant. Alors, il y a bien quelques passages qui s’éloignent de ce sujet, pour évoquer la difficulté d’être une femme capitaine de navire, entre refus d’obtempérer et agressions sexuelles, mais Polaris ne raconte, finalement, que ce qui était annoncé. Hayat et Leïla ont grandi sans soutien familial et sans amour. Mais la navigatrice finit par trouver son équilibre et par retourner, après ses explorations, auprès d’un foyer aimant. Le dernier plan du film montre la fille de Leïla entourée d’enfants de son âge, de gâteaux et de ballons pour son anniversaire. L’image est claire : elles ont réussi. Le spectateur n’en avait cependant jamais douté. La fin se présente donc comme une évidence dans ce documentaire mono-thématique. Le cycle est rompu, mais la boucle est bouclée. Entre-temps, on a pu s’ennuyer un peu. 

Polaris, un film de Ainara Vera, avec Hayat Mokhenache, Leïla Mokhenache, en salles le 21 juin.