Sauvane Delanoë est la femme aux mille voix. Derrière ce visage rieur et cette voix qui a marqué plusieurs générations, se cache une amoureuse des arts. Du doublage à l’écriture, en passant par l’adaptation et la chanson, elle incarne parfaitement l’essence même de l’artiste : celui qui est en perpétuelle quête de création, celui qui donne du sens à sa vie en jouant des mots et des images. Pour célébrer les quarante ans de carrière d’une telle voix, je rencontre Sauvane et reviens sur les points forts de son parcours.

Un grand bouquet de fleurs colorées en main, je tape à la porte de Sauvane Delanoë. Ce n’est pas un jour comme les autres pour elle. Quarante ans de carrière, cela se fête ! Il suffit d’un simple « Bonjour » enthousiaste de sa part pour se dire : « Cette voix me parle. » En effet, je la connaissais avant même de la rencontrer puisqu’elle a bercé mon enfance en prêtant sa voix à mes personnages de dessins animés favoris comme Les Supers Nanas.

Nous nous installons autour d’un café pour échanger sur cette carrière de (presque) toute une vie : « Je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite comme Obélix puisque Maman est comédienne. » La mère de Sauvane Delanoë est en effet Nadine Delanoë, connue notamment pour avoir été la voix de Maya l’Abeille, mais aussi celle de Purdey dans Chapeau Melon et Bottes de cuir, et celle de Kelly dans Santa Barbara. D’ailleurs, cette dernière se joint à nous. Elle est aujourd’hui principalement adaptatrice, et travaille avec sa fille.

La naissance d’une voix

C’est à l’âge de 6 ans que Sauvane obtient un rôle qui changera sa vie, et dont beaucoup se souviennent de par l’ampleur que ce film a eu dans le monde de l’animation. En 1985, elle passe les essais pour le premier dessin animé produit par Steven Spielberg, Fievel et le nouveau monde. Elle est choisie par le réalisateur pour interpréter le rôle principal de Fievel, même si rien ne la prédestinait à l’obtenir : « Le directeur de chant avait fait passer l’essai à beaucoup d’enfants de sa chorale, ils avaient donc une certaine technique que je n’avais pas puisque je ne savais pas chanter. Mon interprétation était loin d’être parfaite techniquement, mais il y avait une certaine émotion qui a plu malgré tout. Le superviseur américain voulait même que j’enregistre la chanson “Très loin là-bas” dans toutes les langues. »

Le doublage est aussi la rencontre entre deux cultures.

Lors de sa sortie en 1986, Fievel et le nouveau monde est ainsi un événement cinématographique majeur qui propulse la jeune Sauvane sur les plateaux de télévision, mais aussi dans le monde du doublage.. Ainsi, on la retrouve dans des films à succès comme Liaison fatale ou encore des films d’horreur comme Vendredi 13, Les Griffes de la Nuit, et d’autres films marquants des années 1990 comme Le Dernier Samaritain ou La Famille Addams. J’ai été moi-même touchée de savoir qu’elle doublait Belle dans Les Supers Nanas, un classique de mon enfance, dont elle sera la seule comédienne à garder le rôle au fil des années, la voix ayant changé pour les autres personnages de la série que ce soit en France ou à l’étranger : 

« J’ai doublé beaucoup de rôles d’enfants dans ma carrière, que ce soit lorsque j’étais moi-même une petite fille ou même maintenant en tant qu’adulte. Il y a une véritable différence entre un enfant qui double un enfant et un adulte qui double un enfant. J’ai vraiment ressenti cela lorsque j’ai eu mon fils. Sa spontanéité, la fraîcheur de sa voix sont si belles, on perd cela en grandissant. Mais, d’une certaine façon, l’exercice est intéressant car il nous pousse à nous reconnecter à notre enfant intérieur, à aller chercher la vérité de notre innocence dans des émotions lointaines. »

Les coulisses du doublage : la rencontre de deux voix

Sauvane double son premier rôle de femme adulte dans Providence, une série dont l’adaptation française est dirigée par sa mère, Nadine. Rien de facile en réalité, puisque l’une des premières scènes de la série pour son personnage est celle d’un accouchement :  « Il y a une vraie problématique lors de la construction d’un rôle quand on n’a pas vécu directement ce que le personnage est en train de vivre. Dans le doublage, tout va vite, il faut saisir l’émotion le plus rapidement possible. On n’a pas le temps de travailler une émotion, il faut imaginer une grande bibliothèque où on emprunterait un livre juste, qui correspond à l’émotion, mais sans la penser particulièrement. » 

Le doublage est aussi la rencontre entre deux cultures. C’est ce que Sauvane a compris en devenant progressivement adaptatrice, comme sa mère Nadine. En rencontrant Jean-Claude Carrière, qui a adapté les films de Luis Bunuel, elle a repensé son métier comme un pont entre différentes cultures, et sans cela, nous n’aurions certainement pas cet accès si grand au cinéma international. Être adaptateur est ainsi un métier qui requiert plusieurs étapes : traduire les dialogues, les rendre cohérents par rapport à la langue française pour le public, adapter aussi les mots aux mouvements des lèvres des comédiens, faire en sorte que ce grand puzzle ne manque d’aucune pièce pour que l’œuvre soit comprise par un public d’une culture différente. Sauvane travaille alors sur X-Files, Sex & the City, mais aussi pour des séries Disney – et tout cela en binôme avec Nadine.

La femme aux mille voies : un pas vers l’écriture, un autre vers la musique

Cet aspect de sa carrière me permet de basculer vers l’amour de Sauvane pour l’écriture, des chansons, notamment « Les mers adragantes » (dont le clip a été réalisé par Erwan Villard) et « Facile » que j’écoute souvent lors de mes promenades. Des chansons entraînantes et touchantes, dont les paroles restent en tête à chaque pas : « J’ai toujours baigné dans la musique. Maman est très mélomane, on avait un rituel tous les dimanches matin où elle me faisait découvrir un nouvel album. Elle écrivait aussi des chansons pour les séries comme les Animaniacs, et en la regardant faire, je lui donnais parfois mon avis, j’apportais ma petite idée. J’ai appris sur le tas. C’était timide, mais ça me plaisait. »

En 2000, Sauvane s’inscrit aux rencontres d’Astaffort présidées par Francis Cabrel, où elle est choisie et passe une semaine à écrire des titres. Un élan de liberté qui s’offre à elle et qui lui permet de se découvrir dans un nouveau domaine. C’est dans cette énergie que lui vient l’idée d’écrire un opéra rock Providence, sur le thème de l’exclusion, dont les gains seraient reversés à Emmaüs : 

« Je n’ai jamais été à l’aise avec mon image, mais sur scène j’aime cette prise de risque, particulièrement dans la comédie musicale. Il n’y a pas d’arrêt sur image. On doit aller jusqu’au bout de la scène. Cette adrénaline tous les soirs est fabuleuse. J’adore le travail de répétition au préalable, ce côté laboratoire qui te fait aussi prendre conscience de ce que tu as écrit. » `

Sauvane enregistre l’album au Palais des Congrès et monte le spectacle en 2003 avec le parrainage de Marc Lavoine. L’opéra rock récolte 1500 euros pour l’association au moment des 50 ans de l’appel de l’Abbé Pierre : « Pour les 75 ans de l’appel de l’Abbé Pierre, j’ai pour projet de ressortir le premier album et un album des highlights de la réécriture qui est déjà faite en changeant la troupe. Le projet est que l’opéra rock ressorte en lumière des moyens de communication d’aujourd’hui. »

Un nouveau souffle

Après un silence, Sauvane m’explique qu’il est important de revenir aussi sur la traversée du désert artistique qu’elle a vécu entre 2003 et 2023 : « Après Providence, j’ai voulu adapter une comédie musicale avec mon propre texte. On m’a volé mon travail. J’ai eu si mal que cela a mis un frein à mes envies créatrices. »

Sauvane publie régulièrement sur les réseaux sociaux des adaptations en français de chansons américaines, une série de vidéos qu’elle nomme « Balance ton adapt’ ». Un exercice créatif qui se mêle également à un projet d’album prévu pour 2024 « L’Adulte Erre » : « Dans mes chansons, j’aborde des grands thèmes à ma façon. J’aime les chansons qui sont à tout le monde car elles sont à chacun. Même si le titre est interplanétaire, l’important, c’est qu’il me parle à moi comme s’il avait été écrit pour moi. Cette magie-là, j’aimerais qu’on la retrouve aussi dans mes chansons. ».

Alors que nous arrivons à la fin de mon entretien, Nadine et Sauvane abordent la crise qui touche le cinéma, et par extension les artistes en général. Depuis près de quatre mois, les acteurs hollywoodiens sont en grève pour des problèmes liés majoritairement au streaming et à l’intelligence artificielle, tous deux menaçant certains métiers de s’effondrer. Les séries à adapter et à doubler ne sont donc pas envoyées en France pour le moment, ce qui rend le quotidien de Sauvane et Nadine complexe, notamment parce que les projets sont en pause : « L’utilisation de l’intelligence artificielle peut faire disparaître des métiers qui impliquent beaucoup de personnes. C’est une industrie entière qui est sur le point d’être balayée, alors que nous menons une mission plus noble : celle de remettre l’humain au cœur de la notion de culture. »

Beaucoup d’artistes se battent davantage pour la fin du mois plutôt que la fin du monde, même si la beauté de leurs productions artistiques semblerait montrer le contraire. Les mots de Nadine à ce propos sont marquants : « C’est important de parler du beau, de le fabriquer par nos œuvres, mais il faut aussi parler de ce qui se passe derrière le beau – et il s’agit de tout l’aspect complexe du métier, ce qui fait moins rêver. On se bat pour la fin du mois parce que nous sommes les premières victimes du streaming, de l’intelligence artificielle qui a transformé la manière de percevoir l’art en le consommant. »

Si l’avenir est incertain, il reste tout de même des artistes prêts à défendre leurs arts. Sauvane et Nadine en font partie, et malgré une période compliquée dans le milieu du cinéma, elles restent ouvertes aux futurs projets. Sauvane me dit ainsi qu’elle a eu la chance de travailler avec Micha, finaliste de The Voice, sur une chanson qu’elle espère sortir en single très bientôt. Elle est également en train de créer un club d’artistes centré sur l’idée du savoir-faire et du faire savoir pour une entraide entre compositeurs, auteurs, acteurs. 

Alors que notre entretien s’achève, je demande à Sauvane pour qui elle aimerait écrire une chanson et sur quel thème. La réponse est inattendue : 

« J’aimerais écrire pour de grandes voix, comme Florent Pagny ou Patrick Fiori, eux qui aiment aussi de grands mots, dans le sens de mots qui débordent, qui coulent de la forme et vivent au-delà d’elle. Des mots comme amour, destin, providence, tempête, orage, qui ont du panache. Donc, j’aimerais écrire pour des interprètes avec du panache nourri par ce qu’ils sont, par leur propre intimité – qui déborde de leurs voix. Je veux écrire aux gens ce qu’ils n’ont pas osé écrire pour eux-mêmes. »