Deux beaux essais biographiques sur Maurice Ronet viennent simultanément de paraître, jetant un éclairage sur le “mystère Ronet”, cet acteur inclassable et mythique, ce “splendide désenchanté” mort prématurément à l’âge 56 ans, en 1983.
Maurice Ronet (1927-1983) est l’un des plus illustres méconnus du cinéma français. Ses allures de dandy désespéré, son visage énigmatique, ses yeux perçants mais qui paraissent toujours congédier le monde, sont parfois encore célébrés par les cinéphiles. Ils retiennent surtout sa mélancolie et son amertume dans le feu follet (1963) de Louis Malle, où il incarne magnifiquement le héros suicidaire du roman éponyme de Pierre Drieu La Rochelle. Son style singulier et son élégance discrète ont aussi illuminé quelques-uns des films les plus marquants des Trente Glorieuses. Citons, pour mémoire, Ascenseur pour l’échafaud (1958) qui le révéla en amant tragique de Jeanne Moreau, son interprétation d’un jeune milliardaire cynique et débauché dans Plein Soleil ( 1960) de René Clément ou ses seconds rôles dans LaPiscine (1969) de Jacques Deray ou Mort d’un pourri (1977) de Georges Lautner.
Mais Maurice Ronet demeure une énigme. Que sait-on vraiment de cet homme inclassable, mort prématurément à 56 ans, en 1983 ? Il ne connut jamais la gloire éclatante d’un Alain Delon ou d’un Jean-Paul Belmondo, et resta souvent à la marge des modes de son temps. Il ne fut jamais de ces « professionnels de la profession » dont se moquait jadis Jean-Luc Godard.
Deux essais biographiques parus récemment, Maurice Ronet, le splendide désenchanté deJosé Alain Fralonet Les vies du follet de Jean-Pierre Montal, dressent aujourd’hui le portrait de ce personnage complexe et de son époque. Le premier de ces deux ouvrages est une biographie classique mais riche en anecdotes et en témoignages. Nous y découvrons les étapes et les grandes rencontres de la vie de l’acteur, ses amours et ses multiples conquêtes féminines, son goût pour les aventures les plus périlleuses, sa passion exigeante pour la littérature – Herman Melville et Louis Ferdinand Céline furent ses maîtres – enfin son non-conformisme politique et sa distance envers les engagements progressistes de la plupart de ses contemporains. Nous y suivons Ronet dans ses virées de noctambule impénitent, en compagnie d’Antoine Blondin et de Roger Nimier, de Louis Malle et de Rémo Forlani, l’ami fidèle et le confident, dans un Paris de l’après-guerre que le jeune lecteur regrettera sans doute de n’avoir pas connu, tant cette ville lui paraîtra féerique et bouillonnante…
Ce sentiment d’inutilité est certainement une des clefs de sa distance mélancolique et simultanément de son désir d’aller à la rencontre des convulsions de l’histoire
Plus subjectif et moins linéaire, le livre de Jean Pierre Montal nous semble décrypter davantage le mystère Ronet. Il insiste à plusieurs reprises sur cette impression douloureuse qu’avait le comédien, à l’instar de son ami Roger Nimier, d’appartenir à une génération perdue, né trop tôt pour la guerre mais inapte aux routines de la paix… « Une foutue génération dont les adultes et les pouvoirs publics ne se sont guère souciés au lendemain de la libération. On ne nous attendait pas, on pouvait très bien se passer de nous qui, finalement, ne servions à rien » déclarait Maurice Ronet. Cette blessure, ce sentiment d’inutilité est certainement une des clefs de sa distance mélancolique et simultanément de son désir d’aller à la rencontre des convulsions de l’histoire. L’homme qui en 1973 accompagna Dominique de Roux au Mozambique, pour suivre en journaliste de guerre les derniers combats de la décolonisation, ne contredit pas celui qui adapta en 1976 Bartleby, cette nouvelle de Melville où le héros refuse doucement et nonchalamment d’accepter le monde…
Olivier François
- Jean-Pierre Montal, Maurice Ronet, Les vies du feu follet, Pierre-Guillaume de Roux, 173 p, 20 euros.
- José-Alain Fralon, Maurice Ronet, Le splendide désenchanté, Équateurs, 281 p, 20 euros.