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(©C. Hélie – Gallimard)

Le prix Goncourt a été attribué au deuxième roman de Leïla Slimani, Chanson douce, qui fait suite à son premier récit, Dans le jardin de l’ogre.

Six voix sur dix dès le premier tour pour le livre Chanson douce de Leïla Slimani : voilà un prix Goncourt que l’on attendait et qui, de fait, n’a pas eu de souci à se faire. Chanson douce est le deuxième roman de Leïla Slimani, édité chez Gallimard et qui fait suite à un premier succès, Dans le jardin de l’ogre. L’écrivaine franco-marocaine (née en 1981 à Rabat) avait marqué les esprits en contant le quotidien d’une femme mariée qui ne pouvait s’empêcher d’être infidèle, allant jusqu’à baisser sa culotte dans les ruelles humides d’un Paris très gris. Cette fois-ci, le sujet n’est pas moins noir, puisque le roman commence d’emblée par la mort de deux enfants ; à côté d’eux, la nounou, sonnée et blessée mais bel et bien coupable.

Retour en arrière

Leïla Slimani opère alors un retour en arrière d’une année, au moment où la jeune mère typiquement parisienne se lasse de sa vie de mère au foyer et se met en quête d’un travail, qu’elle trouve, puis d’une nounou. Elle déniche alors Louise, une toute petite femme, ridiculement menue et maquillée de bleu et de brillant à lèvres, mais perle rare s’il en est. Ses doigts fins comme des allumettes se révèlent rapidement experts, et c’est avec l’agilité et la discrétion d’un cambrioleur qu’elle s’immisce peu à peu dans la vie de ce jeune couple hyperactif.

À la joie du foyer se substitue peu à peu une atmosphère d’angoisse extrêmement bien décrite par Leïla Slimani, qui fait le portrait du milieu bobo parisien avec une acuité et une précision glaçantes. Certains détails éclairent toute la nuance de ces parents modernes que l’on serait tenté d’adorer pour leur joie et leur ambition, mais qui se révèlent parfois être de petits bourgeois lâches, comme lorsque le père précise :

« Pas de sans-papiers, on est d’accord ? Pour la femme de ménage ou le peintre, ça ne me dérange pas. Il faut bien qu’ils travaillent, mais pour garder les petits, c’est trop dangereux. » (phrase que l’on trouvait également dans le premier livre de Leïla Slimani, qui semble avoir à cœur de pointer du doigt, mine de rien, ce genre de propos hypocrites).

Et tandis que le poison se distille dans l’atmosphère de la maison et dans l’esprit du lecteur, une critique sociale fait doucement son chemin sans que rien ne soit explicite

Difficile donc de détester Louise, elle qui donne l’occasion à la narratrice de pointer son projecteur sur les jardins d’enfants blondinets où les nourrices, seules Noires du quartier, papotent joyeusement, ou encore sur la banlieue si lointaine qui contient toutes les femmes de ménage de Paris. Et tandis que le poison se distille dans l’atmosphère de la maison et dans l’esprit du lecteur, une critique sociale fait doucement son chemin sans que rien ne soit explicite. C’est finalement stupéfait que l’on termine le livre, une joue rouge de la claque façon thriller du récit, l’autre violette de la violence, toujours à dire, des milieux aisés.

Bref, un Goncourt mérité, quoique le livre n’ait pas eu besoin de prix pour caracoler en tête des ventes depuis la rentrée littéraire.

  • Chanson douce de Leïla Slimani, Gallimard, 240 pages, 18 euros, août 2016

Maïlys Celeux-Lanval