Comment devient-on victime lorsque notre agresseur ne correspond pas à la vision que l’on se fait d’un violeur ? Lorsqu’on le trouve beau ? Quand on ne bouge pas et d’abord consent ? On devient alors celle qui n’est pas partie, celle qui ne s’est pas débattue. À travers le texte, La Proie, Fiona Marazano pose une question dure mais essentielle  : comment dépasser la zone grise et guérir d’un viol ?

La première chose dont je me souviens, c’est du goût de la poussière sur ses doigts.

Le mur était froid. Dur, lisse et froid. Un mur des années 1970.  Ma tête cognait dessus, irrégulièrement. Mon front n’a rien oublié de ce carrelage vert olive. Laid, affreusement. Vert olive à en chialer. J’imaginais qu’il ne s’était pas lavé les mains depuis la veille. C’est ma première pensée. « Ce tocard ne s’est même pas lavé les mains ». C’est par ses doigts sales d’hier enfoncés dans ma bouche que commence l’enfer. 

Le reste a suivi. Quand on commence à mettre deux doigts dans une bouche, à les appuyer fort contre la langue, irrémédiablement, le reste suit. Sa deuxième main a agrippé mon cou. Il s’y est accroché comme on s’accroche aux choses qu’on est effrayé de voir partir. C’était un geste urgent. Nécessaire. Si je m’en allais, il mourrait. C’était presque quelque chose comme ça. Alors il a vigoureusement serré sa main droite sous mon menton. J’étais un monde entier à envahir. 

Je n’avais pas peur. Je n’ai pas eu peur ...