Les Éditions Gallimard publient les dernières pages écrites de Philippe Sollers, rassemblées en un titre éloquent : La Deuxième Vie. La couverture indique : « roman » ; mais en est-ce vraiment un ?

C’est un exercice rare en littérature : coucher ses dernières idées, sensations (tant l’art de celle-ci fut importante chez l’écrivain), sur le papier (et puisque Sollers écrivait encore au stylo-plume, la première page du manuscrit en témoignant), en sachant/sentant pertinemment que les derniers jours sont proches — et ne parler que de « ça » : la grande faucheuse qui arrive. Je n’ai pas d’autre exemple en tête, en livre. Je me souviens de la projection du film voulu posthume par le grand cinéaste portugais Manoel de Oliveira, La Visite ou Mémoires et Confessions ; mais en littérature, rien de tel ne me vient à l’esprit… Les dernières pages de Proust ou de Céline sont la conclusion de l’œuvre romanesque, juste à temps ; mais elles n’affrontent pas directement la mort en face. Ici, si ; et ce n’est quasiment que cela, avec un violent Je exclusif et excluant (serait-ce parce que, depuis le Nouveau Roman, la fiction serait suspecte ? Suspecte de tricher ? Probable…). Dès l’exergue emprunté à la Juliette de Sade : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » Et puis, ce bloc d’abîme : « La Deuxième Vie est très anti-spectaculaire. Son radar spécial décèle immédiatement ce qui a été pourri par le cinéma, c’est-à-dire aujourd’hui tout, et tout le monde. » On aura tout de suite remarqué les lettres capitales à « Deuxième » et « Vie » : c’est que le Maître se prend un peu, après s’être imaginé en tortue chinoise millénaire dans Médium, carrément ici pour le Seigneur ; d’ailleurs il écrit directement : « La jouissance du corps glorieux est continuelle. » Et aussi : « Le Deuxièmiste […] est u...