La nouvelle création de la compagnie Inhérence, Radius et Cubitus, Les Amants de Pompéi, pose ses bagages au Cirque Électrique pour ses premières parisiennes. En 2017, des archéologues exposent une découverte majeure au sujet des « Amants de Pompéi », ces deux corps restés enlacés après l’éruption du Vésuve : il s’agirait de deux hommes. Avec beaucoup d’inventivité, mêlant cirque, musique live et opérette, la compagnie Inhérence s’empare de ce postulat, pied de nez à l’hétérosexualité et symbole d’un nouveau champ des possibles dans le regard que l’on porte sur les mythes et sur l’amour.

Péplum musical

On se laisse embarquer sans mal par ces étranges personnages volontairement caricaturaux.

La curiosité ne peut pas ne pas être piquée avec Radius et Cubitus, Les Amants de Pompéi, qui se présente comme une « opérette acrobatique en latin ». Le chant, la danse et la comédie sont bien réunis pour la confection de cette opérette (petite sœur de l’opéra-comique et grande sœur de la comédie musicale), assurée de bout en bout par des comédien·nes aux talents multiples et à l’énergie folle.

On se laisse embarquer sans mal par ces étranges personnages volontairement caricaturaux, qui pourraient tout aussi bien sortir d’une tragédie latine que d’un épisode de Dallas. Radius, Cubitus, Vesuvia et encore Ladycula vivent dans un monde absurde, bizarre et extravagant, où l’on chante et danse son désir et où l’on érupte sa colère. Et le tout en latin ! Une langue qui garantit sans nul doute le dépaysement temporel, et qui se prête étonnamment bien aux rengaines opéra-rock des musiques originales conçues par Gabriel Levasseur.

Accompagné·es de multiples instruments, les artistes participent à ce tourbillon musical effréné.

Accompagné·es de multiples instruments (saxophone, batterie, clavier, clarinette, guitare, accordéon), les artistes participent à ce tourbillon musical effréné. Décidemment polyvalent·es, ils et elles donnent aussi de la voix pour chanter les textes de Sylvain Levey (traduits en latin par Gilles Van Heems) : entre disputes de couple et règlements de comptes familiaux, le vaudeville trouve sa place au milieu de cet ensemble déjà foisonnant.

Au milieu de ce cirque romain, de nombreuses trouvailles de mise en scène très originales pour nous embarquer dans l’univers pompéiesque.

Au milieu de ce cirque romain, pas de chars ni de gladiateurs mais de nombreuses trouvailles de mise en scène très originales pour nous embarquer dans l’univers pompéiesque. Des ruses pour outrepasser l’incompréhension de la langue latine notamment, avec par exemple cette dérouleuse de sous-titres qui n’a pas peur d’avoir le tournis.

Aussi une grande attention portée aux costumes, où toges et slips cohabitent naturellement, ainsi qu’à la scénographie, constituée d’une « Aedicula », structure métallique ronde accueillant sur son toit les parties musicales et en son centre tout un tas d’images et de tableaux. On y assiste notamment à l’éruption de Vesuvia, mère de Cubitus et personnification du volcan, dont on entendait déjà le grondement depuis le début du spectacle et qui se réveille enfin dans un puissant final.

Poésie de l’équilibre

Le geste circassien invite à traverser ces questions d’amour et de désir.

Le geste circassien intervient en dialogue avec cette scénographie très pensée, et invite à traverser ces questions d’amour et de désir en plongeant dans des images hautement symboliques. Les acrobates se réapproprient notamment la technique des portés à la perche, consistant pour un voltigeur à grimper en haut d’une perche non posée au sol mais tenue en équilibre par un porteur. Créant de la dépendance et une nécessaire écoute entre les deux acrobates, ces portés étayent avec physicalité, humour et poésie les représentations du couple interrogées par le spectacle.

Avec beaucoup de grâce, les deux fildeféristes interrogent le risque et l’équilibre du désir à deux et créent une vraie poésie.

© Michel Tonon

On continue à prendre de la hauteur avec le fil de fer, dont la longueur se voit modulée par cette structure scénographique mobile à laquelle il est accroché. Sur ce fil, est réuni le duo Radius et Cubitus (Giuseppe Germini et Jean-Charles Gaume). Là-haut, ils ne sont plus maître et serviteur : ils sont amants. Ils ne sont d’ailleurs peut-être même plus vraiment personnages : le regard fixe et la concentration extrême que nécessite l’évolution sur un fil les place à un endroit différent de celui de l’hyper-interprétation à laquelle ils nous habitent avec les codes de l’opérette, créant ainsi une certaine magie du contraste. Ces tableaux, beaucoup plus calmes et retenus que le reste du spectacle, n’en sont pas moins généreux. Avec beaucoup de grâce, les deux fildeféristes interrogent le risque et l’équilibre du désir à deux et créent une vraie poésie.

Spectacle riche et astucieux, Radius et Cubitus, Les Amants de Pompéi propose une déconstruction brûlante et carnavalesque des mythes amoureux qui nous poursuivent depuis 2000 ans. Avec enthousiasme, les six interprètes déploient une énergie considérable pour nous embarquer dans un univers débordant, où l’on peine parfois à s’installer tant les tableaux s’enchaînent. Pour autant, Jean-Charles Gaume et ses comparses ne se cachent pas d’aller chercher ce débordement dans la caricature, le vaudeville et même le grotesque, confirmant le cirque comme un espace de jeu et de liberté.

  • Radius et Cubitus, Les Amants de Pompéi, créé et mis en scène par Jean-Charles Gaume en collaboration avec Cille Lansade et Jean-Benoît Mollet, avec Jean-Charles Gaume, Garance Hubert-Samson ou Marion Hergas, Sandrine Juglair ou Colline Caen, Giuseppe Germini, Gabriel Levasseur et Michel Schick. Jusqu’au 2 juillet au Cirque Électrique.

Crédit photo : © Nicolas Barreau