Gilles de Drieu la Rochelle méritait un hommage d’écrivain. C’est sous la forme d’une poésie aphoristique que Valéry Molet le livre. Nous lisons L’Appel des décombres comme le roman d’une lecture. Nous sommes associés à la mise en abîme du lecteur où Gilles, Drieu, Molet et nous-mêmes, semblent fusionner dans une exaltation du verbe.

Valéry Molet, L'Appel des décombres
Valéry Molet, L’Appel des décombres

Avec L’Appel des décombres, Valéry Molet raconte sa vie de lecteur de Gilles de Drieu-La-Rochelle. Il nous place par-dessus son épaule, et petit à petit nous lisons à travers lui. Il s’agit bien sûr de rendre hommage et aussi d’écrire, d’ajouter une couche de verbe au roman de Drieu. Pour ce faire, il est entré dans la collection des Feux Follets des éditions du Feu sacré en répondant à la traditionnelle question « Pourquoi je lis… » Pourquoi lisez-vous Drieu, Valéry Molet ? « Drieu est un autre moi-même. Pourtant, je ne suis ni séducteur comme lui, ni athlétique, ni politisé, ni fasciste, encore moins suicidaire car le suicide reste le croche-pied de la mort. » Je crains que Molet soit aussi un autre moi-même, pourtant je ne suis ni poète comme lui, ni cynique, ni détaché, … encore moins je ne sais quoi. Il avoue : « On n’aime pas Drieu, on l’adopte comme la part immigrée de soi-même, insulaire et solitaire. » Peut-être suis-je en train d’adopter Molet de la même façon. 

Gilles, il l’a relu la dernière fois dans le métro et relevant la tête sur ses semblables, il opère un télescopage. Pour lui, à chaque époque ses morts, ceux des tranchées dans le livre, ceux abandonnés aux tatouages, piercings et bips en série à ses côtés dans la rame. Les rapprochements avec notre époque sont outranciers. Il faut bien montrer que rien ne change du côté de l’humain. L’humain est un invariant. C’est vrai : les mitraillettes de la guerre civile à Ibiza ou les séances d’hypnose chorégraphique sous psychotropes, quelle différence ? Molet parle de lui dans ce livre sur un autre, bien sûr, de l’humanité ayant dépassé son seuil d’aventure. On y retrouve son goût pour le silence, son mépris pour la politique. Pour lui, la bêtise, c’est l’absence de silence.

Le One Man Show du poète

Et Gilles dans tout ça ? Le héros de Drieu, qu’en dit-il ? « Gilles est un antique. Tous les hommes libres sont des rêveurs antiques. » Il y a la guerre bien sûr, cette guerre que les hommes aiment comme une amante et puis, les permissions parisiennes faites de femmes, d’argent, de politique. Trois passions pour décrire le déclin des êtres. « Un billet de banque est un sauf-conduit lorsque l’on déteste l’humanité. » Quant à la politique, Molet voit l’engagement de Gilles comme celui d’un dandy pitoyable et le 6 février 1934 comme un suicide délectable. Gilles est ce héros qui décline et s’épuise dans chacune des impasses choisies tout au long du pavé de Drieu. « Epuisé de lui-même, vaincu par les femmes qu’il aime et méprise, il s’adonne à la boisson comme pour ajouter un flegme supplémentaire à sa flemme de vivre. » Il ne reste plus qu’à mourir bien sûr par un suicide vengeur, plein d’un ressentiment écœurant. C’est un résumé un peu rapide de ma part, mais je n’écris pas sur Gilles moi, j’écris sur Molet qui écrit sur Gilles ! Cette mise en abîme finit forcément par me poser un problème. Qui parle et de qui parle-t-on ? De Gilles ? De Drieu ? De Molet ? De moi. Ce n’est que moi qui parle de moi au travers de Molet au travers de Drieu au travers de Gilles. Sans doute.

L’écriture de Valéry Molet est feu d’artifice. Chaque phrase est un aphorisme poétique engendrant le prochain.

L’écriture de Valéry Molet est feu d’artifice. Chaque phrase est un aphorisme poétique engendrant le prochain. L’Appel des décombres est le One Man Show du poète. Il est possible de jouir des neurones. L’obsession de Valéry Molet : réunir poésie et philosophie en un seul propos, fusionner esprit et langue comme manifestation d’une expansion de l’être hors de sa grotte originelle. Il y parvient dans un cynisme généreux qui fait écho à ce grand roman d’une noirceur atroce qui ne dégouline sur aucun bonheur. Molet place donc Drieu bien au-delà du pessimisme et qualifie Gilles de pamphlet permanent contre son auteur. Cela ne pouvait que lui plaire. Il se retrouve également en communion avec l’auteur dans l’art de la formule. Molet se régale et nous régale : « Le problème avec Drieu est qu’il a une formule magnifique pour tous vos états d’âme. Il en aurait même si nous n’avions pas d’âme. » Il nous reste à féliciter la maison d’édition pour cette riche idée de collection qui force les auteurs à écrire sur d’autres auteurs. Écrire sur, c’est encore et toujours écrire.

  • Valéry Molet, L’Appel des décombres, éditions Le Feu sacré, janvier 2024