Violette d'Urso par Rodolphe Bricard ©Flammarion

Même le bruit de la nuit a changé est un roman qui oscille entre fiction et autobiographie, mythologie personnelle et vérité : un voyage à travers l’Italie, la recherche d’une figure paternelle presque légendaire, la découverte d’une vérité dure, cruelle… Violette d’Urso condense dans son premier roman, publié chez Flammarion en mars dernier, des thématiques dignes d’une enquête des plus romanesques.

Ce premier roman raconte le deuil que Violette d’Urso a dû faire, à six ans, de son père. Dans une écriture limpide, on comprend d’emblée la clairvoyance de l’enfant qui devient un adulte, qui n’a d’autre choix que d’entrer dans le « monde des grands » face à cette mort brutale. Le récit, mené de manière rétrospective, débute au moment de la rupture : « Les premiers souvenirs parfaitement distincts de mon enfance sont ceux de l’instant où elle prend fin. ». Dans la formule brève, Violette d’Urso trouve une lumière qui parvient à dire l’impensable : son expression « la marche funèbre d’un enfant » résonne dans les premières pages de ce roman, lorsqu’elle parle de son désir d’accompagner son père dans la mort, de son incompréhension, de l’incapacité à faire face mais aussi, paradoxalement, de la force des enfants en deuil. 

« Je comprends que c’est ça, la nouvelle vie de mon père, une boîte. J’ai envie de me glisser dans le corbillard avec lui, pourquoi ne peut-on pas voyager ensemble ? »

Un récit de la perte

La narratrice, qui se prénomme Anna, remplit l’absence soudaine de son père par des objets hétéroclites, par des petits bouts d’histoires autour desquels elle brode toute une légende. La dignité devant la mort s’acquiert dans la figure du défunt lui-même : se fixe dans le discours de la petite fille, tout comme dans le roman, l’image d’un père parfait, une image lisse, sans ratures, qui dessine un véritable héros. Si la narratrice perpétue ce mythe en l’inscrivant dans son roman, elle en instille la faille qui, plus tard, va lui être révélée. 

« Toujours les mêmes histoires, les mêmes objets, les mêmes photos – c’était ça qui était agréable : un père fidèle à mon idéal, une belle image, des éléments immuables posés sur ma table de nuit.»

L’image figée du père est seulement là pour rassurer, elle « peuple les rêves de l’adolescence ». En recréant entièrement cette figure paternelle la narratrice instaure un double récit : d’abord, celui de l’édification d’un panthéon autour du mort, pour l’élever, l’anoblir et réussir ainsi à vivre avec la perte ; puis, le récit de la nécessaire déconstruction de cette fable. 

« J’étais émerveillée par toutes ces histoires, même si la dernière, il me semblait l’avoir lue dans un livre de Pasolini, encore un qui devait se prendre pour mon père… »

puis quelques pages plus loin,

« Pour la première fois, je me questionnais véritablement sur les secrets, de famille en particulier, et sur la nécessité de les révéler, ou non. »

La perte va alors être double : lorsque, jeune fille, Anna retrouve des répertoires ayant appartenu à son père, elle décide de partir arpenter les villes d’Italie d’où il est originaire et où il a vécu, à la recherche d’une image plus proche du réel. Le récit de Violette d’Urso devient alors le récit de la perte de ses propres mythes. Lors de cette quête identitaire fondamentale, la narratrice fait à nouveau son deuil, celui de l’image parfaite qu’elle avait construite de son père. Le récit est toutefois ambigu, puisqu’il colle à des événements réels, mais que la jeune autrice choisit de s’en distancier par l’intégration d’une histoire romancée dont le ton n’est pas évident à saisir. Ce choix de narration fait peut-être perdre au roman un peu de sa teneur et de sa profondeur. Le récit aurait pu gagner en valeur par ce choix de la fiction, développant une dialectique entre vérité et mensonge, imaginaire et réalité, mais, sur ce point, il peine à nous convaincre.

Sur les traces

« Cette imagination n’était pas douce ni naturelle, elle était brutale, hideuse – la féérie était portée à son maximum de contraste, on distinguait chaque ficelle, ça en donnait la nausée. »

Le roman est également une ode à l’Italie, à Rome et à Naples, à ses habitants et à leur façon de vivre

Armée de son répertoire, Anna part donc à la recherche de la vérité, souhaitant rompre avec ce récit fantasmagorique qu’elle a construit, et en découvrir les « ficelles ». Qui était véritablement son père ? La vérité découverte est brutale, crue : elle introduit dans ce portrait paternel une nouvelle « héroïne », la drogue, à l’origine d’une lente descente aux enfers dont l’enfant ne savait rien. La narratrice vacille, tombe des nues, mais poursuit son enquête. Tout en noircissant l’image du père, cette recherche d’une vérité plus nuancée s’accompagne de la confirmation d’une vie fantasque, remplie de joie. Derrière les aspérités du portrait, le roman est également une ode à l’Italie, à Rome et à Naples, à ses habitants, à leur façon de vivre, l’enquête se faisant dans le même temps apprentissage et apaisement. La réalité a été tue, mais tout n’était pas fictif non plus. Même le bruit de la nuit a changé ouvre ainsi une réflexion délicate sur la question de ce qu’il reste après la mort d’une personne. 

« Quand on a perdu un de ses parents, on est prêt à écouter quiconque pourra nous donner de lui un détail, une image, une phrase. » 

La narratrice interroge à travers l’Italie diverses connaissances de son père pour récupérer un petit morceau de lui, et complète ainsi un tableau plus juste. Ce qui se joue véritablement dans ce roman, c’est peut-être la découverte de notre regard sur les autres, leurs erreurs, leurs réussites, leurs mystères. Il s’agit de dresser le portrait de celui qui est parti, sans en faire son éloge, mais en ne le diabolisant pas non plus. À l’épreuve des preuves, les anecdotes s’affirment ou s’infirment, les histoires se recoupent plus ou moins, et on comprend que le disparu est peut-être simplement un homme :

« Dorénavant, il n’est plus le héros du début. Je sais qu’il a souffert, qu’il était plus sombre et merveilleux aussi. Il n’est plus l’homme sans douleur. Il n’est plus lointain. Il est à sa place, tout simplement. »

  • Violette d’Urso, Même le bruit de la nuit a changé, Flammarion, 2023.

Crédit photo : Violette d’Urso par Rodolphe Bricard ©Flammarion