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Le château d’Hardelot, à Condette, dans le Pas-de-Calais, propose une exposition inédite de photographies de paysages de Nan Goldin, icône de la scène artistique underground new-yorkaise, qui avait marquée les esprits en 2016 avec son exposition “The Ballad of Sexual Dependency” présentée au MOMA.

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Tout commença pour Nan Goldin à la fin des années 1970. Installée à New-York dans un loft lugubre  elle photographie le quotidien de ses amis marginaux qui ont abandonné délibérément les valeurs officielles de l’Amérique. Ses images aux couleurs saturées, prises à la lumière artificielle témoignent de leur vie dans ce qui ressemble d’abord à un journal intime affectif et physique. Ce journal double sa vie et la photographie devient consubstantielle à son existence.

En 2016 avec “The Ballad of Sexual Dependency” présenté au MOMA, en 700 diapositives de 1985 retravaillées 20 ans plus tard, Nan Goldin proposa son installation la plus célèbre. L’œuvre est une sorte de journal intimiste et libre où les femmes sont montrées sans fard dans leur quotidien parfois très rude (euphémisme). L’ensemble est aussi critique, caustique que sourdement nostalgique. S’y retrouve le coup l’œil spontané et incisif de la photographe.

Son regard – sur l’intimité liée au sexe, à la drogue et au sida, fait d’elle une icône de la scène artistique underground new-yorkaise et du monde de la photographie où elle demeure la pionnière d’une esthétique de l’isolement et de la solitude. Elle reste le modèle d’une photographe originale et résistante. Mais peu à peu – hantée par ses excès de nuits new-yorkaises et habitée d’une attirance pour l’auto destruction (qui est souvent une marque assez incompréhensible mais rémanente chez les photographes : Ana Mendieta, Francesca Woodmatk) – elle décide de se faire soigner à l’hôpital Belmont.

Certes ses premiers paysages des années 1980 sont inquiétants et ramènent aux portraits qui les jouxtent. Ils sont pris dans diverses cliniques de désintoxication et leur caractère « noir » s’en ressent. Ils trahissent les états intérieurs d’une femme habitée par l’angoisse et le mal être. Elle s’y redécouvre en découvrant la lumière du jour. Elle saisit alors des photos surprenantes où, encore emmurée dans l’angoisse, elle capte la nature et la lumière tremblante afin de suggérer sa solitude.

Mais toute sa façon d’envisager le paysage est là en germe. Ces prises lui permettent progressivement de retrouver les chemins du réel et de l’existence. Peu à peu, au moment où aux portraits succèdent des paysages, des horizons maritimes, des forêts et des fleurs s’imposent et la représentation humaine disparaît quasiment en totalité.

Elle ose enfin quitter la ville, voyage en Europe et progressivement le « cadre » affectif de ses photographies se diversifie. Y demeurent la nostagie mais il se teinte d’un lyrisme éthéré – dans « Lavender landscape, Buncrana, Ireland » par exemple et ses couleurs étranges ou avec « Fata Morgana, Boston » une de ses plus récentes photographies nimbée d’infini. Lepaysage double ainsi son travail sur la condition humaine. Et cette exposition au château de Condette montre la part inconnue de l’œuvre.

Détachées du discours féministe pur et dur, les œuvres se rapprochent parfois d’une forme particulière de fantastique quotidien voire d’un certain grotesque aussi involontaire que programmé.

L’artiste découpe donc – de manière naturelle et au fil du temps – sa vie à en thématiques accompagnées de diverses musiques. Détachées du discours féministe pur et dur, les œuvres se rapprochent parfois d’une forme particulière de fantastique quotidien voire d’un certain grotesque aussi involontaire que programmé. Les failles du monde occidental sont mises en évidences. La femme n’est plus montrée comme sujet à fantasmes. Elle est « l’objet » mal mené des hommes et de leurs désirs prédateurs.

Parallèlement la nature s’érige comme un moyen de retrouver une autre vie, une réalité moins contondante. Peu à peu pour photographier le monde nu et sa richesse, Nan Goldin se «spécialise » vers la poésie de paysage selon une vision  inconnue jusque là chez elle : des panoramiques embrassent des équilibres harmoniques, des gros plans expriment des symboles vitaux voire mystiques comme avec « Holy sheep Rathmullen, Ireland » (2002)

C’est donc à l’orée du siècle que tout change chez elle. Le paysage devient sinon romantique du moins impressionniste.  De France, Grande-Bretagne, Irlande, Egypte,  Etats-Unis la photographe crée des espaces vaporeux, les contours s’estompent et se troublent mais ne sont jamais parasités de mièvrerie. Bien loin de là. Car une certaine gravité de l’existence demeure en filigrane. La photographie prend une picturalité magique et des chromatismes parfaits. Nan Goldin  témoigne  par de telles prises d’une nouvelle  présence au monde et d’une résurrection.

  • « Nan Goldin, Fata Morgana », Château d’Hardelot ; 62360 Condette, du 2 juin au 11 novembre 2018