Au Théâtre de la Cité internationale, Maëlle Dequiedt et son équipe de la Phenomena s’embarquent dans une nouvelle création musico-théâtrale qui laisse sur sa faim.

« On a juste essayé de faire un groupe »

On retrouve ces mots sur tous les descriptifs du spectacle, et c’est vrai que cette pièce, c’est ça – j’allais dire, ce n’est que ça. Comme un vague air d’excuse, de ces comédiens qui « essaient », « juste », de voir ce que ça fait d’être un groupe de musique. Maëlle Dequiedt déclare les avoir mis en difficulté en leur demandant d’apprendre à jouer de certains instruments : violoncelle, piano, guitare, basse. Et bien sûr, de chanter, chanter à tue-tête ces chansons qui « forment la B.O. de nos vies », « celles qu’on a jouées en rêve devant des foules imaginaires ».

Les voici donc, six comédiens qui « essaient de faire un groupe », et qui rejouent pour nous des reprises plus ou moins heureuses de rock et de pop. Le tout est tenu par une trame narrative assez lâche : la perspective d’un concert à Ostende, avec les répétitions qui vont avec et l’excitation de la virée en Belgique. Qu’est-ce que c’est qu’une répétition, les à-côtés de la répétition, les ratés, les « on reprend », les « au temps pour moi, j’ai raté le refrain »… Tout ce qui fait le sel d’une relation si spéciale, celle où on se retrouve pour faire quelque chose ensemble, pas seulement pour boire un verre. Partir en Belgique, c’est à moitié un week-end entre potes et à moitié quelque chose de sérieux, dans cette indétermination de l’amateurisme qui montre parfois son équilibre assez précaire : certains d’entre eux auraient pu devenir de « vrais » musiciens, l’un d’eux le fera d’ailleurs, et pour cela il faut quitter le groupe…

Jouer les stars

Le spectacle multiplie les formes en tournant autour de son sujet. Il m’a fait l’effet d’un gigantesque exercice de style, où l’on cherche avant tout à refaire des performances.

Il m’a fait l’effet d’un gigantesque exercice de style, où l’on cherche avant tout à refaire des performances.

Trouver la gestuelle, la démarche et se projeter dans des avatars de stars de rock – « I wish I was… ». Ce fantasme passe aussi par le fait de filmer, documenter en permanence ce qui se passe au plateau : les images sont floues, en noir et blanc, prises à la sauvette avec un téléphone. Anodines sur le moment, elles sont pourtant projetées en temps réel sur l’écran, comme déjà archivées, vues avec une distance mélancolique, qui donne du même coup une forme de valeur paradoxale à l’image… Comme lorsqu’on dit : « ça vaudra cher plus tard ! » en prenant des photos de ses amis qui peut-être un jour seront « quelqu’un ». C’est le genre de miettes d’intimité qui prend de la valeur lorsqu’il s’agit de Beyoncé par exemple, qui donne un accès privilégié au mystère fantasmé de la création artistique. Comme si le fait de former un groupe amateur était une façon de toucher un peu à ce microcosme rêvé, d’en mimer les rituels : la tournée, le catering, les coulisses, la répétition, les réglages techniques, 1-2 1-2 dans le micro. Mais dans cette reproduction du réel, les comédiens se perdent dans un non-jeu réaliste qui manque cruellement de générosité, et en oublie très souvent le public. Tout y est un peu anecdotique, les « moments » généralement réussis de chaque comédien finissent toujours par retomber à plat – pour montrer, peut-être, le côté illusoire de cette volonté de ressembler à ses idoles ?… Reste pour nous la déception et cette conclusion : quand on est amateur, on se rate forcément.

« Il y a toujours une fanfare quelque part »

Quentin – les comédiens portent, bien sûr, leur vrai prénom – nous livre cette phrase plutôt énigmatique, mais qui semble bien résumer certains aspects du spectacle : « Il y a toujours une fanfare quelque part et c’est un point de repère. On se dit : viens, on se retrouve près de la fanfare ». La fanfare à qui par définition on ne demande pas de jouer bien ou juste, mais d’être là tout simplement en tant que fanfare, de remplir sa fonction de fanfare qui donne le fond sonore de tant de marchés de Noël, de défilés du Carnaval et de fêtes du BDE.

Maëlle Dequiedt dit vouloir parler de l’amateurisme, mais l’amateur, ce n’est pas à mon sens nécessairement celui qui joue mal. En tout cas il y a une poésie dans la maladresse qui ne se retrouve pas ici – même, et c’est un comble, dans la fanfare !… Peut-être parce que tous ces comédiens se prennent un peu trop au sérieux pour que l’on accueille leurs ratés musicaux avec tendresse. Il n’y a pas de véritable dérision qui pourrait s’avérer sublime et créer autre chose : le fameux groupe dont il est question depuis le début, et que l’on s’évertue à chercher. Que savons-nous de ces gens, de leur intimité, à part leur manière de mimer les rockeurs ? Je suis restée  très étrangère à ce pot-pourri de tentatives en me demandant à quel moment quelque chose allait véritablement commencer.

A un moment pourtant, le spectacle aurait pu décoller. Coincés sur un parking sordide dans l’attente d’une dépanneuse, les langues se délient et les performances s’enhardissent… Le concert aura-t-il lieu sur une aire d’autoroute déserte à 4h du matin ? voilà qui serait très rock’n’roll ! Mais cet espace d’inconnu si fertile est trop vite oublié, et on reste à l’écart d’un groupe dont on nous annonce qu’il n’aura de toute façon aucun lendemain…

  • I wish I was, un spectacle de Maëlle Dequiedt / La Phenomena, au Théâtre de la Cité internationale jusqu’au 27 octobre.