© Francis Carco_Meurisse_1923

Lire celui qui a enchanté notre quotidien avec cette phrase lancinante « Il pleut, c’est merveilleux. Je t’aime » (Poésies, 1939) est toujours une idée aussi merveilleuse. La réédition aux éditions Grasset d’Utrillo (1921) nous permet de nous intéresser à la plume de Francis Carco et d’enchanter cette fois ce qu’il nous reste de Montmartre, c’est-à-dire au moins une image : la peinture d’un certain Maurice Utrillo.

Il y a loin de la coupe aux lèvres avec une biographie : l’ouvrage est tout à la fois plus concis et plus anecdotique qu’une chronologie fleuve. L’auteur signe un portrait bien troussé d’une légende montmartroise et c’est heureux car « la légende est fréquemment plus juste ou si tu veux plus vraisemblable que la réalité » comme lui dit un ami au chapitre premier.

Ivresses

En effet, Carco érige la figure mythique du peintre sur son alcoolisme et son génie  – qu’il tend à confondre. Par son désir de le comprendre et de le faire admirer, il analyse ses oeuvres – en insistant sur sa « période blanche » -, il raconte ses affres, ses rencontres avec lui et la généalogie décisive d’Utrillo puisque celui-là s’avère être le fils de Suzanne Valadon. Cette dernière lui a mis des pinceaux dans les mains pour le sauver de son alcoolisme, en vain ; mais au moins a-t-il créé de la beauté, seule justification à son vice. Quoique pour cet ivrogne, la boisson soit en même temps sa chute et son salut. Le fait est qu’Utrillo n’a pas d’imagination et que le quartier en a pour lui : il peint pour boire et abreuve son obsession pour son lieu de beuverie. Une ivresse ne s’opère qu’en concordant à une autre. Carco dépeint celle de Montmartre avec une écriture mimétique : rapide, tour à tour joyeuse et nostalgique comme la descente du taux d’alcoolémie dans le sang. Le dolorisme est ce qui préside aux affects d’Utrillo, même désabusé à force de cures, il est ce qui permet une paradoxale destruction positive. 

Carco suit la même démarche : il construit son récit sur la spéculation de sa cote, la révélation de cachotteries ou machineries, sur un modèle tortueux en somme. La lecture prend ainsi la forme d’une baguenaude dans les rues exiguës du quartier. On décuve au rythme des expressions désuètes et savoureuses. Les cabarets revivent, on pense au Lapin Agile ou la Belle Gabrielle, Modigliani est abrégé en « Modi » comme leurs gérants « Frédé » ou « Lolotte », l’auteur fait feu de tout bois et surtout de cette familiarité.

Hommage 

Carco érige la figure mythique du peintre sur son alcoolisme et son génie  – qu’il tend à confondre

Lorsque Carco dessine les contours d’un peintre intempestif, il se découvre délicat et minutieux dans la mesure où, mettant en place une certaine distance d’avec le peintre, il révèle de manière sous-jacente une réflexion plus générale sur l’inspiration artistique et le génie sans pour autant en faire un prétexte. Il dit comment cette inspiration se nourrit de l’admiration, laquelle n’est ni immédiate ni éphémère : elle se construit, notamment, sur la reconnaissance des faiblesses de l’artiste. Carco semble mettre en lumière des moments de grâce, inexplicables donc, qui naissent de l’âme, en dehors de toute théorie. C’est précisément à cet endroit-là que Carco rejoint Utrillo qui verse dans le mysticisme à la fin de sa vie. Apparaît enfin la révérence de l’écrivain pour le peintre : il l’a observé tout au long de sa carrière, de loin en loin et par d’autres gens, sans cesser de l’aimer avec noblesse. 

Bibliographie :

Carco, Francis, Utrillo, Grasset, 1921.

Margaux Catalayoud