Elle sait que ça finira mal. Mais elle replonge. Encore. O, c’est son obsession, sa fièvre, une autre Passion. Ce jour-là, elle y pense à la messe. Jusqu’à quand se laissera-t-elle dévorer ? Un texte percutant d’Adélie Ensuès. 

Maman l’amenait à la messe tous les dimanches matins. Place des Abbesses, dans l’église couleur ocre, installée devant le manège en face de la bouche de métro. C’était idyllique. Depuis, elle aime toujours cette église, elle y retourne, s’assoit dans le noir, regarde les fresques et les vitraux. L’endroit est sinistre, pourtant, elle n’a pas peur. Elle se sent bien, ici, lovée dans son enfance, protégée, le ventre reposé par les souvenirs de grands soleils et du bruit des cloches vers midi qui annonce le déjeuner du dimanche, poulet rôti et pâtisserie. Le casque qui recouvre ses oreilles et diffuse sa musique lui tient chaud. Dessous, elle transpire. Elle change de chanson « Your lips my lips, Apocalypse » Tu me manques putain. L’église sent le bois usé, la vierge porte un voile bleu et blanc bordé de doré, la peinture reflète le soleil entre les murs gris.

Elle a rencontré O il n’y a pas très longtemps. Elle a dit à ses copines, elle a répété aux filles, à tous ceux qui voulaient l’entendre d’ailleurs, que leur premier rendez-vous était « incroyable ». Quand elle se concentre, elle se demande si elle n’a pas déjà dit, pour ceux avant lui ? Si, mais cette fois c’est vraiment incroyable. Tout est facile avec O. Elle se sent grande, elle le sent grand, comme un édifice solide quand ils sont ensemble. Il y a une forme dure entre eux, quelque chose qui leur échappe, un spectre stable qui est fait des sentiments qu’ils comprennent l’un sur l’autre. Elle le trouve détraqué, il a l’air détraqué, non ? Il aime le porno, elle se demande comment il fait l’amour, qu’est-ce qu’il va lui faire quand ils seront nus ? Il aime boire, mais le soir du premier rendez-vous, il ne boit pas. Il a l’air frénétique. Il est détraqué, elle pense encore, détraqué, juste comme elle, quand elle désire, elle se sent détraquée. Détraqués tous les deux, peut-être pas pareil, mais détraqués quand même, l’horloge qui revient à chaque minute sur le même chiffre, quelque soit l’heure, c’est l’obsession du même chiffre. Elle veut savoir jusqu’où il est détraqué, et pourquoi ? Elle veut connaître un peu tout. Mais elle sent que ça pue cette histoire. Généralement, quand elle est séduite comme ça, d’un coup, d’une claque presque, vite et bien, c’est que ça va mal tourner. Elle n’est pas séduite par O comme elle l’a été par d’autres. Non, O elle a l’impression que c’est d’un geste rapide que ça s’est fait, une évidence, putain c’est cliché, mais j’te jure c’est vrai. Une évidence ? T’es sérieuse ? T’es ridicule. C’est ce qu’elle croit, elle se jure à elle-même, c’est ce que j’crois, c’est évident entre nous, je le sens.

Pour leur premier rendez-vous, ils sont allés dîner au restaurant. Elle le regarde dans les yeux et fait un joli sourire. Allez c’est bon. Au bout de deux heures, elle n’a plus peur, elle lui sourit, elle le regarde, veut lui faire comprendre que dans pas très longtemps, ils vont se prendre l’un l’autre, comme s’ils s’appartenaient, pour que la soirée soit belle. Lui aussi d’ailleurs. Elle le sent, il la regarde comme ça. Il la regarde comment ? Comme ça. Elle ne pourrait pas le dire mieux, il la regarde avec le bas des yeux un peu relevé, l’iris colorée et rieuse, sans rien dire, juste en faisant danser la couleur des lignes vertes autour de la pupille. Après le repas, il se relève, s’approche d’elle, debout, il l’attrape par la taille, la ramène vers lui « Je me permets », et l’embrasse. Quand il l’embrasse c’est évident aussi, ça va de soi, elle se dit que putain, quand ils vont faire l’amour, ça va être incroyable. Putain incroyable. Incroyable parce qu’aux toilettes du restau elle a déjà une trace de mouille sur sa culotte noire, horny bitch, porno-chic. Elle voit, et elle sent même, la silhouette fine de O, qu’elle aime et qui s’arrête au bout de ses mains. Elle les veut en elle, ou pour le moment juste sur sa peau. Putain elle est foutue, il va la balader, elle a peur. Elle a peur parce qu’il est beau, et que les beaux garçons, c’est les beaux parleurs. Mais elle doit bien être belle, elle aussi, puisqu’il la regarde jusqu’au fond de son corps. Putain ma fille, t’es dans la merde.

« Je déplie le lit ? ». Ils sont chez elle, « Oui » il pose sa main au-dessus de son sexe, sur la rainure du jean, caresse l’entre-jambe, et la regarde. Elle a mis sa plus jolie culotte. Putain ma fille t’es foutue. Elle est sur le lit, elle a enlevé son jean, porte un sous-pull noir, matière synthétique, agréable, une qui sèche mal, mais qui lui fait de beaux seins, elle ne porte plu...