Un homme passe la nuit entre les tours HLM qu’il connaît trop. Dans sa tête, cet « enfant du nouveau monde » mache et recrache les mots. Il zone, dope dans les poches, et se sent cerné. Il est question ici d’un couteau, d’un crime et d’un cri comme une balle : ARAH. Un texte audacieux, poétique et brutal, écrit par Jules Carlito Beurrier-Loncan. 

00h53

Environ quatre gars assis, et quelques bougs sur leurs deux jambes, alignés : ensembles synthétiques, chaises pliables, inertes. Il ne reste plus qu’à attendre qu’X ou Y (collègues expérimentés) émettent un signe de vie pour faire le travail… La musique s’estompe, les basses éclatent sur le bitume de verre pour dire aux clients qu’on ne bougera pas, le minimum syndical. Toujours aux aguets j’essaie de rester conscient que quelqu’un peut débouler à tout moment me demander à moi quelque chose, une substance d’1,7 g. À partir d’une heure du sbar, sans renforts, je ferai ce qu’on me demande donc je saluerai au début et à la fin de l’entrevue. Les blocs inhabitables déchirés de cavités lumineusesme rappellent que maman attend mon retour, je tourne de l’œil une seconde, le front pétrifié, l’insomnie recommencée, mes cigarettes ont le goût de l’ammoniaque du coup j’évite de rouler avec la main gauche, ça porte l’œil. Je me lève, constatant que je ne suis le bienvenu nulle part. Je ne peux pas fermer les yeux, fatigué beaucoup plus endormi qu’éveillé, restant à l’affût du moindre objet qui traîne au sol pour m’observer, moi. Les frères me trouvent parano, j’ai de l’imagination et ma tour HLM a l’instinct maternel. Quelqu’un m’a placé là sans raison. 

01h01 

J’attends les meufs, de seuil en seuil, le mutisme de mes membres sourds patiente encore. Il y en a qui passent parfois, elles ne me regardent pas, je ne les cherche pas, elles vont à l’endroit où je ne suis pas, elles sont presque à portée de la main que je ne leur tends pas, elles parlent la langue des murs, une langue étrangère à mes muscles malaisés. Elles traînent les pieds derrière les potes, moi je suis à moitié humain. Mon fils n’aura pas de mère et il pourra me le reprocher. Elles disparaissent max vingt minutes de mon crâne rasé de part à d’autre, j’ai 29 ans, 60 kg, 1m79, la calvitie précoce et l’espérance dissoute. Les dents serrées, j’interagis avec mon dix balles pré-payés. 

Mes mains s’effritent, 
le tonk se tord pour former une issue, 
la feuille se tortille 
pour que le mélange shit, tabac 
se transforme en ligne 
sur la feuille OCB 109 x 44 mm. 
Fermer, tasser, allumer, 
et l’idée de ma déchéance n’est plus si dérangeante. 
Je suis réticent à l’idée de faire tourner le joint, 

01h12 

Il me regarde : qui ? 
Quel nom donner à celui qui se présente à moi ici ? 
L’image se dédouble, des voix se juxtaposent. 

W — il paraît que tu ressuscites les morts. On passe pas ici pour rien. À cette heure-ci on ne doit pas sortir. Soit tu changes de trottoir soit c’est un signe. J’ignore ton fardeau, tes mains creusent dans ta poche comme une alcôve, où gisent un billet et quelques p...