Dans ce texte d’Apolline Limosino, la ville se fait caisse de résonance d’un corps en déroute. Crise de panique, vertige de l’intime, et pourtant – une lucidité brute, acérée, posée sur chaque détail. Un fragment suspendu entre République et les autres, entre effondrement et résistance.

Tu penses : l’espace, ton corps, le cher capitalisme, l’espèce humaine, la Lune. Tu ne sais plus très bien à quoi tu penses et te viens en tête ce lundi dernier, ce malaise, les fourmis dans tes mains devenues jaunes soudainement. Le métro était bouillant ou était-ce ton corps qui irradiait de chaleur ? Tu te rappelles bien de ce qui précédait le métro. Ta descente dans le souterrain, station Invalides, ta mine pâle, tes yeux encore maquillés de la veille, tes cernes et cheveux non peignés. Avant le métro c’était marcher, tu comptais chaque pas, surtout fuir ce quartier. Tu as croisé tous les travailleurs si bien habillés, bien reposés de leur week-end, il est huit heures on est lundi et ils ont tant à faire. Ils te lançaient des regards d’incompréhension, presque outrés par la terreur de ton regard. La pathétique nuit que tu viens de passer se lit sur ton visage, mais ils n’ont pas le temps de lire, ces gens-là, ils passent, tu baisses les yeux ; mais jamais ta garde. Enfin le métropolitain, descendre et quitter les Invalides. À la Madeleine, il y a enfin de la place pour s’asseoir. C’est là que les fourmis ont commencé. Ta tête tourne comme jamais elle n’a tourné, tu prends peur car tu ne sens plus tes pieds non plus, plus d’extrémités du tout. Tu attends que ça passe, tu comptes en relevant la tête, plus que six stations donc environ dix minutes avant d’atteindre la République. Des SDF sans jambe dans le métro glissent. Tu ne sais plus si tu hallucines. À Opéra, dès que les portes s’ouvrent, tu engranges le plus d’air possible dans tes poumons. Tu as peur de ne pas tenir le coup. Tu penses au Palais Garnier juste au-dessus, à l’espace qu’il y là-haut, mais République n’a jamais été aussi loin, ton ventre se bloque comme un étau serré au plus fort et tu ne comprends plus rien ; si : tu vas tomber. Ultime effort, dire à la jeune femme à ta gauche « ça ne va pas du tout ». Tu ne sais pas si tu es avant ou après République, ça n’a plus d’importance, tu t’écroules.

Allongée, frigorifiée, yeux mi-clos, ça panique autour de toi, on ne sait pas s’il faut te mettre sur le côté ou te soulever la tête, les gens enlèvent leur manteau pour te couvrir, une main tire ta capuche sous tes cheveux pour qu’ils ne touchent pas le banc des sans-abris. Tu te sens très sans-abri toi aussi et tu t’en fous de tes cheveux, sales ou pas. Il n’y a que des femmes près de toi, la gen...