Qui n’a jamais eu un voisin aux petites manies exaspérantes ? Du genre qui ne dit jamais bonjour, dépasse tout le monde dans les files d’attente et impose ses propres règles au voisinage avec un plaisir évident ? C’est le cas du narrateur de Boris Okoff qui se sent d’abord agacé par ce voisin solitaire et caustique, puis se surprend à développer un attachement étrange pour cet homme. Une histoire qui révèle la tendresse et l’attachement parfois inattendus que l’on peut ressentir face à ceux qui nous irritent le plus.


« Le corrosif du bonheur, c’est l’ennui » 
(Amiel, Journal, 1866)

Mon voisin de palier, c’est un type caustique. Un taiseux teigneux avec un goût immodéré pour l’absurde. L’autre jour, je l’ai croisé à la sortie de la gare devant laquelle je passais par hasard. Il revenait de voyage. On a fait le chemin du retour ensemble. Comme à son habitude, il parlait peu. Des réponses brèves et polies à mes questions. À un moment, on a dépassé une jeune femme qui promenait son chien. Il lui a lancé : « Il est moche, votre chien ! ». La passante, choquée, a rétorqué : « C’est méchant et gratuit ce que vous dites ! » Il en a remis une couche et l’a achevée sèchement : « Ben quoi ?! C’est vrai ! »

Ce voisin, il consigne dans un petit carnet des sales besognes quotidiennes qu’il s’est assignées. Des « missions vilaines » comme il les appelle. Parmi ces tâches obscures figurent (de mémoire) :

– Ne jamais dire (encore moins répondre à un) bonjour.

– Dépasser systématiquement les gens dans les queues.

– Faire respecter les règles communes et l’ordre dans la résidence

– Remettre à sa place la pharmacienne si elle me reparle sur ce ton (sur ce dernier point, je crois qu’il ressasse). 

Dimanche dernier, un habitant de l’immeuble avait invité des amis à déjeuner chez lui. On riait et on parlait fort sur sa terrasse. Mon voisin est sorti calmement dans la cour. Il a levé la tête vers eux en les regardant fixement, sans un mot, l’air froid et menaçant. Au bout d’un moment, les convives, mal à l’aise puis de plus en plus effrayés, se sont tus. Apeuré, l’hôte en question n’a pas osé se plaindre. Dans un silence glaçant, tout ce petit monde est reparti sans moufeter dans le salon ...