Le rugby : terreau des valeurs sportives, sport d’intégrité, de passion, de solidarité, de discipline. Sport d’appartenance aussi, où les bars se remplissent de supporters enthousiastes, suspendus aux passes de balle, aux mouvements dans la mêlée et aux actions des avants. Dans un texte réaliste, Lysa Lamorisse retranscrit brillamment l’attente en gare, l’espoir des supporters et (un peu de) l’atmosphère du Sud-Ouest.

L’air moite du café accentuait ma migraine. Il fallait attendre, encore. La machine à expresso rendait vacarme tout écho des trains arrivant en gare. Les freins crissaient sur l’acier comme des mâchoires tendues, ponctuant les annonces des automates enjoués.

Je sentais un tressaillement sur ma nuque.

Assis face à la télévision, il regardait les corps enlacés dans une mêlée de rugby. Autour de lui, quelques hommes visiblement habitués à pousser des poids dans des salles obscures pendant de longues heures. Leurs bras, leurs cuisses, tout semblait transpirer leur inconfort à être en ce monde. Et pourtant, ils agissaient comme des cavaliers sur un échiquier, cherchant à conquérir les territoires voisins – c’est-à-dire les tables de lycéennes – avec le charisme d’un pion.

Lui-même avait l’air de s’en amuser. Il appartenait clairement à une bourgeoisie provinciale, il en avait les usages. Je me reconnaissais dans sa manière d’étirer les mots afin de ne pas jaillir, se contenir pour mieux se définir. Il souriait seulement d’un côté, dans un sens, l’autre partie de son visage était indifférente. L’air faussement engagé dans la conversation, il buvait une bière, la mousse caressait ses dents de porcelaine à l’alignement étrange. Derrière son dos, un manteau blanc soigneusement plié sur le rebord de la chaise de bistrot en s...