Journée électorale en France , différentes inclinations politiques et habitudes électorales. Les même assesseurs des bureaux de vote, qui spéculent pour passer le temps sur le choix des urnes. Les dimanches électoraux qui se succèdent sans se ressembler et toujours la même question que deviennent les citoyens véritablement intéressés aux affaires du monde ? Un texte aussi actuel que nécessaire signé Céline Bentz.
Deux jambes pour un bulletin. Deux jambes qui racontent une vie et ses inclinations, ses répugnances et ses espoirs de puritanisme ou de grand soir, d’épopée napoléonienne ou de pic à glace, de libéralisme économique ou de collectivisation des moyens de production. Deux jambes pour tout savoir. On n’est jamais si nu que dans l’isoloir à présenter ses mollets au petit peuple désœuvré du bureau de vote. Sur l’urne règnent sans merci les importants d’un jour qui se gavent de sucreries et s’abreuvent de café en commentant les taux de participation tous les quarts d’heure, espérant vainement un « sursaut » qui n’arrive jamais.
Qu’est-ce qu’on s’emmerde derrière son registre ! On est fatigué de répéter sur le même ton, monocorde, « a voté » ! Dieu que c’est long une journée à vérifier des identités et à rappeler qu’il faut impérativement prendre plusieurs bulletins ! Pendant ce temps, la France entière profite d’un barbecue ou se laisse bronzer au bord de la piscine. Il y a quand même des injustices.
Dès huit heures du matin, les pairs de jambes se succèdent dans la valse singulière des dimanches électoraux. Présidents, secrétaires, assesseurs et délégués –cachés derrière la table qui sépare les initiés du petit peuple- les observent par-dessous les rideaux blancs. D’un blanc douteux. D’un blanc qui a connu de grands engouements et des hésitations à n’en plus finir. D’un blanc qui a la mémoire de toutes les élections que la Vème République leur a offert d’abriter. Ils recèlent le souvenir de ralliements inespérés, d’hésitations et de sacrées trahisons.
Comme on ne s’ennuie jamais tant qu’avant l’heure du déjeuner, quand les électeurs les plus âgés sont à la messe et que les plus jeunes ne sont pas encore levés, on joue au grand jeu des appartenances électorales. Qu’est-ce qu’on rit ! Chaussures bateau et chino bleu : catholicisme revendiqué à la sauce quinze août dans l’Ile de Ré, droite inspiration Puy-du-Fou ; petits escarpins beiges surmontés d’une jupe rose au genou : centre-droit bon teint ; baskets à la semelle en caoutchouc biologique dessinées en France, circuits courts et mise en valeur des « territoires » : majorité présidentielle ; pataugas usées rehaussées d’un jean baggy : socialisme laïcard tendance Education nationale ; demi-jambes poilues unisexes terminées par des tongs en mousse de l’été dernier : gauche radicale avide de grands voyages aux accents de combis Volkswagen.
Pour pimenter le tout, il y a les extravagants, ceux qui compliquent tout. Dire qu’il y a des salauds qui se paient le luxe d’être originaux. On en voit des cas limites, des écarts à la moyenne à l’instar de ces droitards tout juste sortis de leur potager, chaussés des mêmes sabots que les prolos de Lutte ouvrière ou de ces intellos gauche caviar qui n’ont même pas honte de se pavaner en Church’s.
Tout ça, c’est sans compter sur d’éventuels attributs complémentaires qui, parfois, brouillent les pistes. Quel sens donner à la présence du chien qui –échappant à la surveillance de son maître occupé à plier son bulletin- bondit hors de l’isoloir, avide de se dégourdir les pattes ? La bête et sa mauvaise éducation sont-elles une caractéristique socialiste-révolutionnaire ou le signe d’une aristocratie fin de race dépassée par ses animaux domestiques ? Sur le doberman, facile de conjecturer, c’est de droite mais le chihuahua, c’est de quoi ? Que déduire, par ailleurs, de la compagnie de ces petits enfants, à peine capables de marcher et qui s’accrochent, sous le rideau plus si blanc, aux jambes de parents agacés ? N’a-t-on trouvé personne pour les garder dans une répartition éprouvée des rôles au sein de la famille traditionnelle ou cherche-t-on à en faire de futurs citoyens, précocement intéressés aux affaires du monde?
Une chose n’en demeure pas moins certaine, c’est qu’en dépit de ces quelques aberrations statistiques, l’observation approfondie des membres inférieurs des électeurs est un bien meilleur indicateur des résultats à vingt heures que le dépouillement de quelques bureaux tests. Reste cependant à élucider une question : à quoi reconnaît-on les jambes de l’électeur d’extrême-droite ? Que donne-t-il à voir de lui sous le rideau fatigué ? Il serait évidemment possible de s’user à établir une fastidieuse classification mais le plus simple est encore de se dire qu’il recouvre toute la typologie des jeux de jambes possibles, à hauteur de cinquante pourcent. Ça, c’est devenu un invariant.