Entre madeleines mâchouillées, valises surchargées et sardines du Campanile, Chloé Bisson nous embarque dans un sacré périple familial, à Saint-Jean-de-Luz. Pas besoin de préparer vos valises pour savourer ce cocktail hilarant et nostalgique, où chaque détail de la vie quotidienne devient une épopée, aussi tendre que savoureuse. 

Tous les étés, nous partions trois semaines à Saint-Jean-de-Luz. Dix-huit jours exactement, car papa et moi voulions rentrer quelques jours plus tôt, ne prévenir personne et regarder les programmes télé dans la banquette, en boule dans la banquette, avec un pot de glace et une grosse cuillère. C’était nos seules vacances de l’année, dans un tout petit appartement proche de l’océan, où nous nous retrouvions souvent dans le même lit, tous les quatre : papa, maman, mon petit frère et moi. 

Pour aller à Saint-Jean, nous faisions huit heures de voiture. Papa nous levait à l’aube et nous étions déjà réveillés, patientant, le cœur battant, qu’il vienne nous souffler avec son haleine de café chaud : « Les enfants, c’est l’heure, on part en vacances ». Les parents s’étaient levés avant nous, bien avant nous, et s’affairaient déjà autour des valises à faire entrer dans le coffre (un exercice de symétrie où ma mère excellait et se savait exceller, dictant ses consignes à mon père qui nous trouvait déjà en retard). Mon frère et moi, petit frère chéri, émergions autour des madeleines et du chocolat froid, hébétés par les programmes du matin qui diffusaient leurs clips américains où des filles aux énormes seins se trémoussaient dans des prisons en or. Et je pensais en mâchouillant la madeleine : « moi aussi, un jour, j’aurais des seins énormes », lissant pour le moment, du mieux que je pouvais, la légère bosse qui remuait sous mon maillot de corps, « ça y est, je suis une femme, je ne peux plus revenir en arrière ».  

Nous partions une fois que la voiture était chargée. Absolument chargée, bien entendu, car il fallait emporter l’entièreté de nos gardes-robes, rester parés pour tout événement, quand bien même nous savions que : nous déjeunerions trois fois au restaurant ; irions une fois en Espagne ; nous baladerions, une fois ou deux, dans un village voisin (villages que nous connaissions tous et que nous trouvions, d’un accord commun et supérieur, « moins biens » que Saint-Jean. Le projet était de nous arrêter seulement deux fois, « deux fois, on est d’accord ? »). D’abord, dans une station d’autoroute (les yeux collés du premier somme, petit frais du matin, odeur d’essence et de boissons lyophilisés), où nous avions droit à la formule petit-déjeuner la plus chère (celle avec les tartines et la confiture) et où papa buvait son café flotteux avec un soupir d’aise (il était bien sûr « dégueulasse » mais ça n’avait pas d’importance, puisque c’était déjà les vacances). Puis, à Bordeaux, en périphérie de Bordeaux, pour le déjeuner : « Le Déjeuner au Campanile ». 

Les paupières closes, la tête collée aux sursauts de la vitre, approcher du Campanile de Cestas, c’était me projeter devant le Campanile de la Part-Dieu. Petite fille minuscule devant cet hôtel immense, dressé, stoïque, comme un vieux sage que tout le monde craindrait. Le Campanile était l’hôtel qui faisait face à la Gare de la Part-Dieu. Plusieurs fois par jour, nous passions devant pour...