Sur Instagram, les gens sont fiers. Ils ont pris un train, un avion, ils sont allés dans un endroit et ils en ont fait des photos. Ils les ont postées sur leur compte et d’autres gens qu’ils connaissent ou pas ont mis des cœurs par-dessus elles. Dans les effluves d’alcool des terrasses parisiennes je n’ouvre pas l’application. Mes ami·es artistes parlent d’endroits, iels disent : il y a un endroit où la fiction rencontre le réel. Ou bien : à cet endroit-là de ton histoire tu pourrais même aller plus loin.
Endroit (n. m.) :
- Lieu déterminé.
- Côté destiné à être exposé à la vue, le dessus ou le devant d’un objet à deux faces, par opposition à l’envers.

Il se dresse devant moi et il a des allures de bunker. C’est un café, bar, restaurant. Il surplombe le port de Saint-Jacques. Le large partout autour du golfe et le long de la pointe du monde, un bloc carré dans lequel on entre. Dans lequel on rentre. Un intérieur pour fuir les balles tirées sur nous par les absences. Je n’irai pas. En haut de lui, une antenne immense, je ne sais pas à quoi elle sert. Au bord du monde, un pic dans le ciel, qui relie tous les téléphones. Il me revient tout à coup les trajets en voiture de l’enfance, les pylônes de la campagne, le bois qui les faisait, les câbles entre eux. Dans les liens il y avait des fils, pour fuir on prenait des ciseaux.

En contrebas, un homme pousse à l’eau un canot. Il positionne ses pagaies de part et d’autre de lui-même, et il s’en va. Il tourne le dos à l’océan. À l’envers, il s’en va. Un couple passe sans le voir et lance d’une seule voix : c’est un bel endroit. Ils grimpent les marches du bunker-bar ; ils mangeront comme ils parlent, ils aspireront des paysages et régurgiteront des souvenirs. Ils diront : on a fait l’Endroit, tu sais, le bar lounge là-bas à la pointe. Ah c’était bon.

Endroit (n. m.) :
3. Partie déterminée de quelque chose. Ex. : à quel endroit souffrez-vous ?
Le vent se lève et avec lui se répand une odeur fétide. Sur le sentier côtier, je marche. Je porte mes os ou c’est l’inverse, mon corps me porte et ça me rassure. Été 2023, fracture. Été 2024, fracture. Dans mon petit appartement du XXe, la chaleur des combles au mois d’août et le silence des vacancier·es parti·es se refaire une santé. Dans les hôpitaux parisiens, le blanc net des murs opaques et les cris de celleux qui restent, et qui n’ont plus de santé à refaire. Être malade, c’est être à l’envers. Je travaille dans le cinéma, je sais comment on triche les lieux. Dans les décors le beau, dans la douleur le vrai. Dans la fidélité au monde, une infidélité à soi. À quel endroit souffrez-vous ? J’ai pu marcher, je suis partie. J’ai vendu mes fringues, j’ai claqué mon ordinateur, j’ai laissé mon appartement, je suis partie. J’ai dit oui à mon caprice, j’ai serré dans mes bras mon crime, je lui ai dit que c’était pas grave, et je cherche l’envers du décor. Que faites-vous de votre colère ? Est-ce que c’est elle qui vous balade ? À l’aube de nos matins d’octobre, je chine une pointe de vérité.

Ici ce ne sont que des baraques secondaires, les volets ne claquent pas au vent, les volets sont fermés et les gens sont absents. Les algues sont échouées sur la plage, à son entrée, un panneau indique les bons gestes en cas de contamination. Dans ce port de gens riches aux résidences secondaires, quelque chose pue qui n’est pas le fric.
Sur le site de la mairie, en gros, en gras et en orange, en lettres capitales, on lit : signalisation, potentiels risques de putréfaction d’algues.