« C’est pourquoi de mes maux ce n’était pas le pire
Ce trou presque mortel et qui s’est étoilé
Mais le secret malheur qui nourrit mon délire
Est bien plus grand qu’aucune âme ait jamais celé »

Tristesse d’une étoile, Guillaume Apollinaire

La guerre a volé mon visage. 

Brumes du soir. Humidité des marais alentours. Odeur de guenilles sales et rapiécées, d’humus et de boue. Pluie sèche. Puis imprévisible, au loin, une constellation d’éclats rougeoyants, sur le ciel de la campagne. Le lointain n’est pas si distant. Ici et là-bas, c’est tout pareil. Le lavis nocturne s’éclaire de mille et cent clignotements vermillon : fumées, flammes, étincelles, comme un tournoiement de douleurs. Une éclipse de nuit, quelques instants seulement. Le temps de réveiller chevreuils et hulottes endormis. L’air blanchit violemment. La nuit revient, l’obscurité reprend ses droits sur la pâleur des feux. Et mon visage disparaît avec les dernières lueurs de l’explosion.

La guerre a volé mon visage. 

C’était une nuit, noire comme il n’est pas permis. Mes pieds putréfiés par le froid et l’eau brune dormaient dans le caniveau artificiel, creusé entre eux et nous. Entre la défaite et la victoire. Je fumais sans y songer mon ultime cigarette ce soir-là. La cendre chutait du haut de mes deux mètres, et venait s’écraser tantôt sur une modeste et humide levée de terre, tantôt sur la surface opaque de l’eau sale de la tranchée. Mes mains étaient si froides que je ne les sentais plus. Je ne les voyais plus non plus à vrai dire. Elles mouraient en paix au fond de mes poches bourrées de poudre, de tabac et de pain. Avant cette nuit, il y eut une vie de je...