Entre les flammes de l’ambition et les cendres du doute, La Femme Pyromane raconte l’histoire de Lisa Delille qui, en incendiant sa propre vie, cherche la vérité de l’écriture. Faut-il tout réduire en poussière pour mieux se reconstruire ? À travers une confession ardente, à la fois tragique et incandescente, l’autrice prône l’extinction de soi pour mieux renaître au monde.
En bon pompier pyromane – je suis scorpion ascendant scorpion – j’ai souvent allumé des feux pour mieux pouvoir les éteindre. Je veux dire : quand je juge que ma vie devient trop simple, que je vogue depuis trop longtemps sur une mer trop plate – la métaphore maritime rappelle que le scorpion, en dépit des apparences, est un signe d’eau – j’ai la fâcheuse tendance à faire craquer l’allumette juste pour le plaisir de tout cramer (mon bonheur) de manière à pouvoir contempler, une fois le brasier éteint, et non sans avoir soufflé sur quelques braises avec la même excitation que lorsque je m’amusais, gamine, à torturer un lézard : le désastre. (Oui, la femme pyromane est très narcissique.)
Cette tendance au sabordage par le feu m’a causé bien des ennuis ces dernières années, d’ordre financier mais aussi dans mes relations avec les gens que j’aime. Après le feu vient toujours l’effroi teinté de culpabilité. On se sent piteuse d’avoir contraint son entourage à assister, horrifié, à son auto-entreprise d’immolation. Car le projet de la femme pyromane est intrinsèquement exhibitionniste : il ne tient que parce qu’il est regardé par d’autres personnes, perplexes et impuissantes.
Mon dernier haut-fait pyromaniaque : quitter sans préavis la sécurité d’un travail bien payé pour me mettre à écrire (moi qui lis si peu, ah ah, quelle blague quand on y pense), mettant en péril tout l’équilibre financier et émotionnel d’une même famille et donc le mien.
Après avoir mis le feu aux poudres – c’est-à-dire après avoir bougé de mon boulot -, je me suis sentie revivre. De fait, j’étais très exaltée. J’étais en mode feu follet, je me galvanisais du crépitement de mes doigts sur le clavier, je me sentais habitée d’une sorte de feu sacré. Je me disais alors que j’avais vraiment bien fait de tout sacrifier sur l’Âtre de la Cré(m)ation, que c’était vraiment la meilleure chose à faire pour pouvoir « bien » écrire.
Pendant un an et demi, j’ai écrit partout où il m’était possible de le faire et sous toutes les formes : chroniques et articles pour la presse, newsletter, nouvelles, début de roman… J’étais vraiment dans la position du jeune pompier volontaire qui embrase la forêt landaise et qui fonce à la caserne revêtir son habit de service afin d’être le premier à intervenir sur le lieu de son crime. Sur le coup, tout le monde t’admire et loue ta bravoure, ta lance est ton stylo.
En octobre 2024, consécration, un de mes textes a terminé 1er au concours de nouvelles organisé par la revue Zone Critique dont le thème était : « Représailles ».
Début décembre, FORCEUSE est donc sorti sous la forme d’un petit livre dans la collection « Vrilles ». Lors de la signature qui s’est tenue quelques jours plus tard sur la montagne Sainte-Geneviève, tous mes amis, ma famille et même quelques curieux, se sont pressés pour célébrer ma victoire. La pile de livres à dédicacer s’est consumée aussi vite qu’un fétu de paille de sorte que Victor Dumiot a dû partir en trombe pour ramener d’autres exemplaires de chez Pierre Poligone.
Le 31, quelques heures avant de basculer en 2025, un auteur très réputé que j’admire beaucoup s’est fendu d’un mail pour me dire combien il avait aimé mon texte. Sur le coup, je n’ai pas réussi à me réjouir. Ça faisait déjà plusieurs semaines que je n’écrivais plus ou très mal. J’étais venue à bout des dernières cartouches d’encre. Lors de la signature, j’avais réussi à donner le change, laissant croire à qui voulait l’entendre que j’en avais encore sous le pied. Mais quand j’ai eu fini de lire le mail de l’auteur très connu, je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Maintenant c’est vraiment fini. »
Depuis, je n’ai rien écrit. Je suis à terre, pauvre Icare au service des grands brûlés (breaking news : le feu, ça brûle). Un rien m’écorche, tout me terrorise. Je suis pétrifiée par ce qu’est devenue ma vie et mon compte en banque : une terre de désolation sans le moindre espoir de repousse. Alors je regarde Los Angeles brûler en direct sur les réseaux. Je regarde Gaza calcinée. Je regarde Elon Musk faire un salut nazi. Je regarde Anne, cette femme dupée par un faux Brad Pitt, se battre comme une lionne pour rétablir son honneur.
Cette semaine, j’ai quand même trouvé la force de lire un des premiers livres de l’auteur connu, le seul disponible à la bibliothèque. Je l’ai embarqué avec moi dans le Nord. Je l’ai fini hier soir. Le livre revient sur l’incendie qui a ravagé son lieu de vacances, en Italie, où il était venu se ressourcer en famille. L’auteur y décrit avec humour comment cette expérience de mort imminente a modifié sa manière de voir la vie – lorsque les flammes lui léchaient les pieds, plus rien ne comptait sinon sa propre survie, ses livres il n’y pensait même pas -, et en même temps n’a rien changé du tout. Il continue de s’énerver quand sa femme passe des heures à récurer la cuisine alors qu’il l’attend pour mater un DVD ou de ne penser qu’aux conséquences de la portière éraflée de la voiture de location plutôt que de profiter d’une belle soirée d’été.
Mine de rien, avec tout ça, me voilà ce matin à écrire mes premières lignes de 2025. Juste ces quelques lignes que Pierre Poligone m’a demandées pour accompagner le lancement du concours de nouvelles 2025 qui portera cette fois sur le thème de : « l’Extinction ».
Je m’adresse donc aux futur.e.s participant.e.s : embrasez-vous, consumez-vous dans votre propre enfer, soufflez-sur vos brûlures en riant, ça vaut le coup. On renaît toujours de ses cendres.
Merlimont-Plage, 23 janvier 2025