Marc pensait avoir tout : un mariage idyllique avec Dina, une vie rangée, un quotidien sans heurts. Mais des détails étranges commencent à s’accumuler. Des œufs translucides, un dessin sous le lit, une boisson noire, et cette sensation obsédante qu’un autre regarde à travers lui. Entre amour et angoisse, sa réalité vacille peu à peu… Un texte haletant écrit par Sarah Ortolan.
Pourquoi toujours des œufs ?
Et pourquoi Dina insiste-t-elle pour les préparer elle-même, chaque soir, alors qu’il dispose d’une cantine gratuite à la clinique (plutôt bonne, en plus) ?
Ça fait deux jours que Marc se pose la question.
Depuis qu’il a arrêté de manger les œufs.
Il faut dire qu’ils sont bizarres, ces œufs.
Hier, à sa pause, il en a pris un entre ses doigts pour le faire tourner, l’inspecter.
Blanc pâle, translucide. Pas comme ceux du marché, ni même du magasin bio qui vient d’ouvrir, place de l’église.
Il n’en a jamais vu de semblables.
Tu parles d’un problème !
Tu lui demanderas où elle les achète, et voilà.
S’il y pense. Il oublie beaucoup de trucs, en ce moment.
Il les occulte, plutôt, et après ça lui revient, comme maintenant. Avec une drôle d’oppression sur la poitrine.
Des questions qu’il ne se posait plus. Des choses qu’il avait perdues de vue.
Des choses, ou des gens.
Anaïs, par exemple.
Elle le dégoûtait tellement, sur la fin, que rester dans la même pièce qu’elle tenait du supplice. Il n’arrivait plus à dormir avec elle. La deviner à ses côtés, bouche ouverte, calme et stupide, il sentait qu’il pourrait, qu’il aurait pu…
Dieu merci, Dina avait tout balayé.
Ça faisait bien un an qu’ils travaillaient ensemble lorsqu’elle l’avait soudainement invité chez elle – il avait d’abord cru qu’elle cherchait à négocier une augmentation. Il s’était rendu dans son petit studio, juste en face de la clinique, sans trop savoir ce qu’il faisait, intimidé et anxieux à l’idée que quelqu’un les voie y entrer et en déduise… des choses. Il avait été touché par le soin qu’elle avait mis à leur confectionner son cocktail maison – un genre de punch capiteux – et s’était senti enivré par son sourire, ses grands yeux noirs, comme s’il les découvrait pour la première fois. Dina. Appliquée, consciencieuse, la plus discrète des infirmières du bloc. Jamais il n’aurait pensé vivre avec elle une passion aussi brutale.
Alors pourquoi repense-t-il à Anaïs ?
A ses yeux verts. Sa fossette. Ses petits seins en forme de poire.
Classique, Dr Schmidt. Tu as appris qu’elle s’était fiancée, ça vient titiller ton esprit de compétition. Puéril, mais d’une banalité affligeante.
Il se remémore son propre mariage et sourit. Revoit Dina, sous l’arche de roses blanches ; créature surnaturelle, couronnée de fleurs, moulée dans une robe sirène, ses longs cheveux tressés…
Et dire qu’elle ne te plaisait pas, à la base.
Marc secoue la tête.
Ce qu’on peut être con, parfois…
Tu la trouvais fade. Et gauche. Tu trouvais qu’elle avait un grand nez, un menton trop long. Un visage chevalin.
Oui, bon, et après ? Tout le monde peut se tromper, se rabroue-t-il, mal à l’aise.
Leur mariage avait été le plus beau jour de sa vie. A peine gâché par la présence de « Belle-Maman », comme il co...