Le désir altère tout ce qui en nous raisonne. C’est une force étrange, peut-être le mauvais sort, qui réduit le monde à un tas de gravier. Ne reste plus que toi, indéchiffrable, et moi qui ne peux plus mentir. Apparaître réellement, à ta merci. Le désir, c’est la nécessité terminale de la coïncidence humaine. Dans ce texte brûlant, la narratrice dort chez Lou, sa meilleure amie. Ensemble, elles ont tout fait. Aujourd’hui, Lou a un petit copain. Rien de plus normal. Alors, pourquoi ce feu si puissant dans le ventre, ce soir, à quelques mètres de leur chambre ? Pour ce Dimanche Rose, l’écrivaine Lili Nyssen nous conduit au cœur d’une nuit de furie.
Voilà ce que Lou a fait. Je m’étais juré de ne jamais, jamais vouloir l’amoureux d’une amie, parce que c’est sacré l’amitié, tu comprends, c’est putain de sacré et ne me regarde pas comme ça. Je vois que la brume s’est dissipée dans tes yeux, tes yeux de reptile, range-les, ferme-les, laisse glisser les paupières sur ce bleu absolu, océan où je pourrais me noyer et vraiment je m’étais juré.
Elle est où Lou ? Elle est allée se coucher. Le piège tendu à ton amour et à ma loyauté. Et nous deux, là, on meuble le désarroi mais tes yeux serpents, tes yeux d’abysses, ils ne trompent pas.
Oui c’est la faute de Lou. Volatilisée après avoir soufflé à mon oreille qu’on pourrait faire l’amour tous les trois. Vous deux et moi. Elle te l’a dit aussi, n’est-ce pas ? Dans ton esprit aussi, elle a ouvert ce gouffre. Désormais je te vois et sens entre mes jambes une brûlure douloureuse. L’envie de mordre ta nuque. Sentir plus près l’effluve qui m’est parvenue, un instant un seul, joue contre joue quand on a été présentés.
De passage, je dors sur le canapé. Rien d’autre n’était prévu qu’un moment entre amies, même pas ta présence. À vrai dire, je ne savais pas que Lou avait quelqu’un. Et tu ne connais pas les circonstances de notre rencontre. Elle a tu ton existence dans nos nuits caniculaires. Tu es amoureux et ignare. Je ne peux pas te raconter. Lou et moi sommes les mêmes, avec l’univers à dévorer, toutes les peaux du monde à goûter, les cœurs à ravager ; on s’est reconnues, elle et moi, chiennes toutes les deux, libres et frivoles et volages et curieuses. C’était près de la mer, lors d’un boulot d’été. Nos tempêtes comme un secret. Les éclats de la lune divisés dans l’eau, les baisers arrachés aux hommes, plus rien pour protéger la peau du sel ni du sable. Tu ne sais pas, toi, que le dernier jour on a baisé le directeur. Toutes les deux avec lui, et dans l’ivresse on l’a presque oublié. Il a joui simplement de nous voir serrées, elle et moi, jambes sens-dessus-dessous, dans une tendresse fébrile, nos gémissements mélangés. Je connais le sexe de Lou, j’y ai mis la main et la langue, et d’autres l’on fait avant et après moi mais tu ne sais rien. Tu la veux entière alors elle préfère taire. C’est pour éprouver ta droiture qu’elle m’a mise entre vous.
Voilà, elle dort ; nous a laissés dans le salon, toi avec ma brûlure entre les jambes et moi avec tes yeux d’animal. Tu parles d’autre chose et j’ai faim, de toi, ça se tord dans mon ventre, ça creuse entre mes poumons. J’ai mal de ce désir que je chasse en silence. Je ne comprends rien à ce que tu racontes, je pense à cet amour qui garde les portes de tes enfers, ce chien de la casse qui hurle, invincible, comme j’aimerais le duper. Lou dort, elle dort vraiment et tu sais qu’on pourrait, là, tout de suite, sans bruit, simplement, sans rien dire. Un autre secret. Nos souffles rapprochés, mes mains pourraient entourer ton cou, mes ongles entrer dans la chair – la nuque est ma partie préférée chez les hommes, tu ne le sais pas encore, ni que j’aime qu’on me serre, qu’on me casse, qu’on me salisse. Découvre-moi. Laisse-toi prendre à ce piège, saute, je saute avec toi. Je veux sentir l’épaisseur de tes lèvres entre mes dents.
À l’autre bout du salon, tu feins l’ignorance et je foncerais à ta peau, me rendrais à ton emprise. Tu le veux. Au fond, tu penses à me prendre, te raccroches comme tu peux à ton amour pour elle ; fier, furieux, inviolable mais tu voudrais flancher. Son sommeil est une douleur, elle se dérobe à l’existence – dégringolée dans l’Erèbe avec les endormis, elle côtoie les morts. Elle n’est plus de ce monde et ce n’est qu’un instant. Tes démons étouffés : qu’ils respirent. Tu prendrais mes cheveux pour rompre ma cambrure. Je te serais offerte, avec cette peine au cœur qui me ronge les sangs, attise ma chaleur. Nos trahisons sauvages. Tu hésiterais à m’enlever le pyjama, c’est Lou qui me l’a prêté, et puis merde, allez, tu découvres mon cul, presses sur mes reins, enfonce mon visage dans le cuir. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer. Mes fesses nues à tes yeux d’océan, ta main qui en saisit les courbes, tâtonne et voudrais les claquer mais, chut ; moi qui tremble de sentir et d’entendre les fessées interdites, moi qui veux, pour toi, les compter. Cette honte-là nous accable, nous malmène, nous élève. Le plaid pour recouvrir mon visage, oublier ton crime et ne restent que mon cul, mon sexe, anonymes. Tu le touches. Timide, tu cherches avec les doigts son cœur mouillé. Ma chatte t’est étrangère, tu l’apprivoises. Ensevelie, je perçois, infime, cette tension effrayée, la discorde dans ton souffle et si je tends le bras, il y aura l’érection, il y aura cette queue, inconnue, orageuse et je pourrais la saisir, en découvrir les formes et l’attendre. Ta queue je pourrais l’attendre. Mon sexe convulse pour elle, tu sens, autour de tes mains qui maintenant le tiennent comme un joyau, le caressent et le pénètrent et je mords fort ce plaid, je musèle mes soupirs.
Ce n’est pas que dans ma tête. Tu as fini de raconter je ne sais quoi, laisses le silence enfler et je suis sûre qu’entre nos corps, dans c...