Cléo croyait en la Justice, en ses promesses de grandeur. Puis elle a plongé dans l’envers du décor : juges désabusés, procédures sans âme, idéaux broyés par la machine judiciaire. Tant pis pour les justes raconte sa désillusion, la chute brutale de ses certitudes, et ce malaise corrosif d’une génération qui se débat entre théories brillantes et réalité crue. Un texte percutant écrit par Mathilde Leoni.

« Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

Albert Camus.

Longtemps, elle y a cru à la Justice. Jusqu’à maintenant, en fait. Là, elle ne sait plus trop. Je vais vous dire un truc. C’est pas facile à entendre, mais ce sont ses mots :  j’ai de la théorie plein les mains, d’éloquents fantasmes sur le bout de la langue et beaucoup trop de réalité qui se déversent sur les joues, acide.  Voilà ce qu’elle pense. Et pour cause, elle se souvient de tout, absolument tout. Notamment de ce que ça fait de rencontrer un magistrat pour la première fois. Après on s’habitue, mais au départ, c’est étrange comme sensation. C’était son tout premier entretien d’embauche dans le judiciaire. On lui avait envoyé un mail aux allures de convocation et elle s’y était rendue. Elle attendait dans le couloir, quand un type l’a fait entrer. Elle n’a plus jamais revu ce type, mais c’est comme ça dans les juridictions, il y a toujours des mecs que tu croises une fois et plus jamais ensuite. Ils doivent mourir quelque part aux archives, ensevelis sous un monticule de procédures prescrites. Et donc l’un d’entre eux, un fantôme peut-être, l’a fait entrer dans le bureau du magistrat pour patienter. 

Et là, elle s’est retrouvée face à un poster un peu étonnant, une affiche grand-format avec Rachel, Chandler, Joey, toute l’équipe. Si vous n’avez pas la référence, ce n’est pas très grave, mais c’était bien quand même, cette série. Oui, elle était carrément rassurée de voir autre chose que la Pléiade. Il était donc possible d’aimer Friends ET la Justice. Première et dernière bonne nouvelle. Ensuite, elle est apparue dans l’encadrement de la porte. Mal habillée, souliers et vêtements bon marché. Elle avait un bracelet Hermès, sûrement un cadeau, mais ça ne fonctionnait pas, ça faisait faux. Je crois que c’est parce qu’elle portait la même robe que la mère de Cléo. C’est donc ça, une magistrate. Elle lui a proposé un café. Cléo a répondu « non merci » parce qu’elle se figurait très bien le bruit que pouvait faire la vieille machine Nespresso, le malaise que ça impliquerait, l’interruption d’un début de conversation banale et par-dessus tout, forcée. Non merci. 

Le pire, c’est qu’elle s’en était fait un quand même la magistrate, provoquant la scène redoutée. Et Cléo raconte qu’en grimaçant de malaise, elle lui avait dit un truc comme « Il va falloir la détartrer ». C’est con parce que quelques minutes plus tôt, Cléo éprouvait encore une certaine forme de re...