Être lecteur, c’est parfois avoir le privilège de voir notre vie se confondre avec la littérature. Valentine Desprez a eu la chance de faire cette curieuse expérience en découvrant l’œuvre de Murakami dont les livres lui ont peut-être permis de vivre sa plus belle histoire d’amour. 

Ça a été ma plus belle histoire d’amour. 6 mois durant lesquels j’ai été arrachée à la torpeur de mes doutes et au cataclysme qu’était ma vie. Le genre d’histoire qui commence de manière un peu banale, que l’on pense être légère et qui, en un éclat de rire et deux corps qui se frôlent, fracture notre existence.

Avec lui, j’ai appris à aimer et accepté de l’être. J’ai découvert les nuits blanches à marcher dans les rues de Paris, les dimanches dans le lit à ne faire qu’exister. J’ai découvert les je t’aime en silence, murmurés du bout des doigts et ceux que l’on emprunte à d’autres en se lisant des poèmes. J’ai découvert le goût des bras qui réchauffent et des lèvres qui brûlent, celui des corps tout entiers qui se consument. Avec lui, j’ai plongé dans ces petites habitudes que l’on prend à deux, et qui finissent par nous piquer encore le cœur bien des années plus tard quand on se surprend un jour à les faire au hasard d’un geste du quotidien.

Cet homme, je l’ai aimé de tout mon être. Lui, son flegmatisme face aux choses de la vie, qui contrastait tellement avec la flamme qui s’allumait dans ses yeux dès lors qu’il se mettait à parler de ses découvertes. Lui, ses yeux noisettes, la petite tâche rosée qu’il avait sur le torse et sa cicatrice sur le coude. Sa façon bien à lui de manger les fraises – en commençant par la partie la plus proche de la queue et son obsession absurde pour l’eau gazeuse. 

Un jour, il est parti. C’était un mercredi. Sans un mot, sans une explication, il a disparu. Plus de réponse au téléphone, plus d’adresse où le trouver, plus le moindre contact avec lui. En une seconde, la bulle a explosé et je me suis de nouveau retrouvée seule dans le fléau qu’était ma vie. J’aurais tout fait pour le revoir, pour comprendre son départ. Finalement, après des semaines d’attente, j’ai dû admettre qu’il ne reviendrait pas, et même bien pire : que ce qui était arrivé était inévitable depuis le début de notre histoire. Il avait simplement quitté Paris pour rentrer dans son pays et retrouver sa vie. 

Bien des étés plus tard, alors que pour moi cette histoire n’était plus qu’un souvenir nostalgique et que le calme semblait avoir repris sa place dans ma vie, je suis partie en vacances. J’avais prévu de passer quelques semaines seule à faire des randonnées dans la nature et lire. 

Quelques jours après mon arrivée, alors que je venais de finir les entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux – bouleversantes leçons d’humanité – je me suis rendue compte que je n’avais pas prévu suffisamment de lectures dans mes bagages. Me voilà donc partie en quête d’un livre.

Par miracle, sur la place principale du village médiéval dans lequel je logeais, se trouvait une librairie. 

La devanture était soigneusement travaillée, décorée de guirlandes lumineuses et de petites suspensions en origami. En y entrant, une libraire au sourire doux m’accueillait dans son intérieur tout aussi chaleureux. 

À l’entrée de la boutique, les tables et les étagères étaient principalement recouvertes de nouvelles publications, de ce genre de livres que l’on voit généralement en été, ouverts sur les transats, à des terrasses de café ou dépassant des sacs de plage. Mais, dans le fond du magasin, se trouvait aussi des ouvrages plus confidentiels, aux couvertures un peu arides et aux polices trop petites qui ravissent les quelques curieux avides d’objets littéraires exigeants.

Enchantée par le charme de ce lieu et qui, j’allais bien vite le découvrir, serait le théâtre d’un événement extraordinaire, j’ai commencé à déambuler dans la boutique, piochant quelques livres au hasard avant de les reposer et de continuer à errer. Je me suis finalement retrouvée devant une étagère remplie des livres d’un auteur japonais dont j’avais vaguement entendu parler. Alors que j’...