Paris, la clope au bec, les bières dans le sac et les freins qui lâchent sur un Vélib’ pourri. Ce soir, c’est pas juste un match, c’est la qualification en Ligue des champions. Dans le salon d’Adrien, maillot de Verratti sur le dos et clins d’œil à sa meuf, on vibre pour Paris. La vie file vite, entre joints, blagues nulles, et discussions qui dérapent. Ici, tout est bancal, mais c’est comme ça qu’on aime : ici, c’est Paris. Un texte puissant et vivant de Paul Kermarec.
Ce soir y a match, Dortmund contre Paris, tout un programme apparemment. J’ai rendez-vous à 20 heures chez Adrien. Dans l’aprem, il m’a envoyé des messages :
— Si Newcastle fait nul à Milan on s’en sort
— Si on fait nul et que l’un des deux gagne ça va se jouer au g/a
— Si on perd et ils gagnent on est finito
J’ai aucune idée de ce que veut dire g/a mais je comprends que l’enjeu est important, ça me suffit.
— Tu paries sur le match ?
— Oué, victoire Paris, Mbappe buteur
— Si je mets 5 balles j’gagne combien ?
— 11,50
— Vazy t’es chaud tu les mets j’te rembourse quand j’arrive.
Je bouge de Porte Dorée à -10, et j’file à la borne vélib. J’en choisis un vert à l’allure étonnamment neuve, je grimpe dessus, il me suffit de trois coups de pédales pour capter, je peux pas passer les vitesses, rien de nouveau, ici c’est Paris.
Je bombarde comme je peux vers le XIe, je prends la rue Sibuet, je m’arrête à la moitié pour voir si Vob est rentré du taff, la lumière de sa chambre est éteinte, j’me remets à pédaler en direction de Nation.
Je passe devant le Burger King, qui avant était un Quick, il y a quelques années on avait passé le Nouvel An dans ce Quick parce qu’on avait pas trouvé de soirée.
Je continue ma route.
Arrivé en bas de chez lui, je pose l’horrible vélib’ et je fais un détour par l’épicerie, j’attrape deux grandes bières dans le frigo et un paquet de cacahuètes où le prix n’est pas marqué, détail qui aurait dû m’alerter.
Je pose le tout sur sa caisse.
— 11 euros mon ami.
— Comment 11 euros ? Elles sont à combien les cacahuètes ?
— 6 euros.
— Bon bah laisse tomber j’prends que les bières.
Je le soupçonne d’avoir donné un prix au hasard, jugeant à la tête du paquet, et surtout à la mienne. Mais rien ne justifie des cacahuètes à 6 euros, même dans le XIe.
Troisième étage sans ascenseur, je monte les marches deux par deux, les bouteilles de bières s’entrechoquent pendant l’ascension.
Adrien a emménagé ici avec Emma, sa meuf, depuis plus d’un an. L’appart est petit, je me demande souvent comment ils font pour pas passer leur journée à s’engueuler. Moi, je crois que ça m’angoisserait d’habiter avec ma meuf, de toute façon j’en ai pas.
Une fois Lili m’a proposé qu’on habite ensemble, j’ai refusé, j’étais pas sûr que ce soit une vraie proposition.
Adrien m’ouvre la porte, il a enfilé son ancien maillot de Paris, floqué Verrati. C’est plutôt cintré, ça lui va bien, il est musclé. Il a les cheveux détachés, très noirs et bouclés, des sourcils épais et une barbe de quelques jours, un sourire sur son visage anguleux.
Un grand check de l’épaule s’impose.
— Ça va ou quoi ? Bien la journée de taff ?
— Tranquille et toi ? Cergy aujourd’hui ?
— Yes ça va !
Je mets les bières dans son frigo et me faufile dans le salon en passant sous la barre de traction qui est dans l’encadrure de la porte.
— Eh gros, ton épicier c’est un assassin, 6 euros les cacahuètes du coup j’ai pas pris !
— Oué mais il est sympa.
— C’est vrai.
Emma sort de la chambre
— Ah t’es déjà là !
C’est vrai que le mat...