Journal de vacances

Ça y est : les vacances sont installées. La Sicile est belle, venteuse et pleine de soleil. J’essaie de parler italien ; je comprends quasiment tout mais Quand j’ouvre la bouche, rien ne sort. Parce que je pense au français, au latin, et surtout à mon espagnol qui me fait rajouter des i un peu partout et puis qui en a profité pour me quitter aussi quand l’italien est arrivé. À croire qu’il me fait la gueule parce qu’une autre langue est rentrée dans ma vie.
À défaut de parler italien, je mange italien. Je mange italien et je lis italien, je lis Musso mais pas dans le texte, Musso dans l’italien, Musso en Sicile qui me parle d’amour en italien, d’amour et d’art et de Paris en italien. Pas très dépaysant, et parfait pour les vacances italiennes. À défaut d’avoir l’italien dans la bouche, je l’ai dans l’oreille. Ma Jeff Koons non era Vincent Van Gogh. Facile à comprendre, pour l’instant je m’en sors bien.
Le jour 1 de mon cahier, c’était pour faire le vide. C’est dangereux de faire le vide, parce que lorsqu’on se débarrasse des choses à faire, celles qu’on a tout fait pour ne pas faire et puis surtout celles auxquelles on ne peut rien faire, reviennent comme une tarte dans la figure. Je me réveille le matin sur un lit d’angoisse, et mes rêves ne sont pas faciles : soit horribles, soit malicieusement traversés par des personnes auxquelles je n’ai pas envie de penser parce qu’elles me serrent le cœur. Pas ici en tout cas.
Pourtant j’ai bien fait le vide, et une fois les premières minutes du matin passées, une fois que les rêves horribles ou malicieux se sont dissouts dans le ronronnement du soleil toujours prêt à glisser sur son axe, une fois le café, je m’apaise. Les menus travaux de la journée se comptent sur les doigts, et ce sont des doigts très écartés, les mains ouvertes en étoiles et les paumes tournées vers le ciel pour que se comptent entre eux tous les temps de repos, lascia fare, baignade, sieste, Musso, coda all’infinito.
Le soir je monte sur le toit pour regarder les étoiles. Je peux rester une heure allongée, la tête sur un coussin, et je tente de garder le compte des étoiles filantes. Une vingtaine par soir ; mes préférées ce sont les espèces de comètes qui traversent le ciel en laissant une épaisse traînée blanche, quelques fractions de seconde derrière elle, avant de disparaître. Je dis comète mais probablement que ça n’a rien à voir, peut-être météorite ? Comète c’est joli. Celles-là me laissent l’espoir de pouvoir en filmer une, et l’envoyer à Sidonie.
Chaque fois que Je regarde les étoiles, je pense aux gens que j’aime et qui se trouvent sous ces mêmes étoiles. Où qu’iels soient, nous partageons un ciel. Mon téléphone se remplit de vidéos noires de plusieurs minutes, sur lesquelles l’obscurité poussée aux max de sa luminosité crépite étrangement, avec ces menus points blancs qui ne ressemblent à rien sur mon écran. À ce jour, à cette nuit, j’ai pu filmer une seule étoile filante, que j’ai envoyée à Sidonie pour qu’elle fasse un vœu. Mais ce n’était pas une comète. Quant aux étoiles que j’ai vues dans le ciel sans avoir pu les filmer, je fais avec elles des vœux pour les proches que j’aime – puisque je leur souhaite bien des choses.

La nuit je suis sur le toit, le jour je suis sous le toit d’un ami qui ne vient pas du même monde que moi. Pas du même pays, pas du même métier, pas de la même histoire, rien de commun vraiment, si ce n’est l’amie par qui je l’ai rencontré. Avec notre rien de commun, on aurait tout pour ne pas s’entendre, mais c’est sans doute pour cela aussi qu’on s’entend si bien. On discute alors, on parcourt ces distances en se posant des questions et en comparant nos perspectives. J’apprends les angles morts des choses que j’ai toujours vues et entendues dans ma vie à la lueur de ce qu’il en a toujours vu.
Il est en vacances, mais toujours affairé. Aux menus à faire de la maison, aux grosses affaires du métier, souvent les deux ensemble, écouteurs aux oreilles, visiocall dans une main, tuyau d’arrosage dans l’autre. Passé maître dans l’art de couper dix minutes, une heure, ou toute une journée pour laisser la vacance prendre ses aises. Puis le menu revient. Je crois qu’il n’y a pas de vacance plus belle que celle qui se ponctue de menues choses à faire, autour de soi, réparer les lattes de pierre émaillées d’une table jaune, balayer le sol de terre battue pour pouvoir marcher pieds nus dehors sans se faire piquer les pieds par les petits cailloux qui ruissellent des murs de pierre L’hiver, lorsque la pluie tombe. Il faut dire qu’il n’y a plus grand-chose d’essentiel à faire dans sa demeure, sauf c...