Blurp : Putain, c’est rush. C’est quoi ce resto que vous avez choisi, 20 euros les pâtes carbo.
Le Lion : Tu veux mes pâtes Blurp ?

Blurp : Nan nan, vas-y mange. Je prendrais la fin. À ce prix-là, je me prends un antipasti, ça fera l’affaire.

Il intercepte en plein vol la serveuse et commande : « Une focacia tartufo. » 

Je ressens de la peine à l’égard de Blurp. Il est en nage dans son costume de marseillais : casquette, diamants collés sur les dents, chaussettes remontées, tatous. D’après ce que je comprends, Le Lion, c’est un peu Le Parrain de la bande. C’est lui qui gagne de l’argent, qui paie la drogue à tous ses potes, et ses potes mangent dans son assiette. Aujourd’hui, il a dû mal à me regarder dans les yeux. Hier soir, c’était le pire lover à cause de sa pilule avalée, ce midi il est incapable de me considérer. Le Lion se lève pour aller aux toilettes, il évite le clochard sans bras. Je me retrouve face à Blurp et je sais pas quoi lui dire. Lui non plus, alors il relève son tee-shirt :

— T’as vu, je me suis fait piquer par une méduse. Ça me brûle. 

Son corps sec est couvert de tatouages. Sur le ventre, juste à côté d’une tête de mort mexicaine, d’une cafetière et d’un motoculteur, il a une boursouflure rouge avec des traces de filaments. Je lui demande : 

—  Quelqu’un t’a pissé dessus ? T’as raclé avec une carte bancaire ? 

Une femme à la table juste derrière nous s’en mêle avec une élocution un peu débile :  

— Pas de pisse. Pas de carte bancaire. Ça sert à rien. C’est pas ça qui faut faire. Faut juste passer de l’eau claire dessus, hein. 

Blurp lui répond que c’est ce qu’il a fait justement. 

Le Lion revient des toilettes, son visage ruissèle sur son débardeur. Il est allé se foutre de l’eau sur la gueule pour rendre sa redescente plus agréable et revenir au monde normal, mais il constate que rien n’a changé : je suis toujours là. Le bras coupé du clochard qui mendie à genoux n’a pas repoussé. Ce n’est sûrement pas de l’eau bénite. Il suffit de regarder nos verres, ils sont recouverts de calcaire. Le visage du Lion dégouline à nouveau de sueurs.

Blurp sort son téléphone pour nous montrer une vidéo de l’after de la mort prise il y a à peine une heure : une quinzaine de zombies dansent dans un appart sur de la techno avec le soleil qui frappe malgré les volets rabattus. 

Blurp : C’est trop mal filmé, c’est pas moi qui filme, c’est une meuf, elle était trop défoncée. Ça me donne mal à la tête, je peux pas regarder. 

Le Lion : Ouais bah heureusement que je suis pas venu.

Il me semble reconnaître Doria dans la vidéo. Doria qui danse comme un zombie. Blurp pose le téléphone sur la table. Je la regarde danser, l’image est un peu floue. Le Lion lui refile machinalement son assiette. 

Blurp : Je peux finir ? 

Le Lion : Bah oui, vas-y. Je suis épuisé, je peux plus rien avaler. 

Blurp s’enfile les pâtes à la carbonara du Lion. Moi, je continue à manger mes spaghettis al vongole ; droite, irréprochable, méthodique. J’aspire, suce, lèche, pose les coques dans le bol à côté de mon assiette. Le Lion s’accroche à Blurp comme s’il était une bouée d’entre-couilles. Il doit se concentrer sur autre chose parce qu’à chaque fois qu’il croise mon regard, il se sent couler d’interrogations : « C’est qui cette meuf, en fait ? » « Qu’est-ce que je fous encore avec elle ? » « Elle s’appelle comment ? ». Il est en chute libre d’interrogations. 

Il paierait cher pour qu’une trappe s’ouvre sous mes pieds ou qu’un aigle me kidnappe, il voudrait que je dégage, que je disparaisse, mais je suis là ...