Dans une berline noire, une voix s’adresse à un homme fatigué. Entre deux calls, deux meetings, ou deux tentatives de suicide, elle lui propose des bodyscans et des exercices de pleine conscience pour apaiser son stress. Dans ce texte incisif et tendre, Sabine Audelin croque la solitude moderne et nos maladroites tentatives pour y faire face.
Il s’installe sur la banquette arrière du Uber et enfonce ses Airpods au plus profond de ses tympans.
La voix lui parle, lui dit tout. Elle couvre le “bonjour” du chauffeur auquel il ne répond pas et les bruits de la ville. C’est Paris, au mois de juin. La sueur ruisselle sous les chemises et l’odeur de goudron recouvre d’une épaisse couche noire le cœur de l’homme dans le Uber. Il soupire et se rassure comme il peut, c’est bientôt les vacances. Mauvaise pioche, la pensée l’angoisse plus qu’autre chose. Ce sera le réveil matinal pour l’aéroport les yeux croûtés de stress, les enfants qu’il faut habiller à la hâte, le décompte des passeports histoire de ne pas abandonner un des gosses sur le tarmac. Il lui faudra aussi passer la douane et jeter son shampooing car, à chaque fois c’est la même merde, son contenant est trop grand pour passer les portiques de sécurité et, ça, il l’oublie toujours. Ça le rend fou.
Mais, pour l’instant, il est dans une berline noire qui file sur le périphérique. L’homme s’ancre dans le réel pour ne pas sombrer. Ses mains reposent sur ses genoux, son souffle s’apaise. La voix, rendue humaine par son léger chuintement, le plonge dans un état proche de la léthargie. L’homme est entre deux calls, entre deux meetings, entre deux tentatives de suicide dont il n’a même pas le courage. L’homme rigole parfois pendant les méditations guidées. Il se dit que la voix, avec son petit accent du Sud, ne doit pas se douter qu’elle est écoutée par un connard comme lui. Parfois, il imagine qui se cache derrière cette voix. Il pourrait aisément aller se renseigner, la voix possède un compte Instagram comme tout “créateur de contenu” qui se respecte. L’homme préfère imaginer. Ça fait bien longtemps qu’on ne lui raconte plus d’histoires avant de dormir, alors il se crée les siennes. Audrey de la méditation est une grande blonde pulpeuse refaite de partout, une beauté d’artifice qu’il aimerait toucher pour voir ce que ça fait que d’empoigner des seins refaits, un cul de silicone. Audrey de la méditation est une vieille avec la peau qui pend, des enfants de l’âge de l’homme, une vie derrière elle avec un mari méchant porté sur la bouteille. Audrey de la méditation a parfois 18 ans, elle passe le baccalauréat et fume des roulés devant son lycée. La voix est une armée de désirs honteux, remplie de petites soldates obéissantes et hétérosexuelles.
Souvent, la voix demande à l’homme de prendre conscience de son corps, de commencer par ses orteils, ses chevilles, ses tibias, ses genoux, ses cuisses, ses hanches, son abdomen, sa poitrine, le sommet de ses épaules, ses coudes bref, il a compris le truc. Quand elle fait ça, il a envie de la baffer et de lui demander ce que ça fait. Est-ce que la voix ressent le coup de chaud contre ses joues tantôt ridées tantôt juvéniles ? Est-ce qu’elle sent que lui n...