Dans un atelier d’art thérapie, on rencontre de drôles de personnes souvent marquées par la vie. En son sein, les frontières se brouillent et l’on a l’impression de pénétrer dans un autre monde où la notion de classe et de privilèges n’a plus de sens. Le narrateur ne sait finalement plus où se trouve la réalité : dans l’atelier ou à l’extérieur ?

L’atelier d’art thérapie a lieu tous les après-midis de 14 heures 30 à 17 heures. Dans cette salle, sous les combles du deuxième étage, il y a tout ce que l’on peut imaginer : des trépieds avec des toiles dessus, des dessins faits à l’aide de mosaïque, des petites sculptures en argile, des bacs remplis de perles, de petites lettres, des pelotes de laines, du papier Canson en bataille, ça dégueule de partout, de tous les côtés. 

La pièce est un long rectangle, pas très large, bas de plafond. Les tables sont rondes et juxtaposées les unes avec les autres. Les premières, toujours prises par les vieux de l’établissement. Marius dit que ce sont « les tables d’EHPAD ». Je me demande ce qu’il fait d’ailleurs. J’aimerais lui envoyer un message mais Marius n’a pas de téléphone. Ça l’angoisse d’en avoir un. Qu’on puisse l’appeler sans son autorisation, qu’on puisse le troubler. J’aimerais l’arracher de ses pensées. Je ne sais pas exactement pourquoi il est ici, j’ai essayé de gratter un peu, mais tout ce qu’il a bien voulu me partager, c’est une sombre histoire d’alcoolisé : lui, nu, en train de courir sur la côte bretonne. 

Je dessine un paysage de montagnes, sans trop savoir où ça va, où je vais. J’écris dans les nuages, avec mon écriture approximative, marquée, agressive : « Le ciel est sur nous comme un drap, j’ai refermé sur toi mes bras. »

Erik me demande si je viens de l’inventer. J’aimerais. C’est en moi, mais pas de moi. « Louis Aragon », lui répondis-je. Il me sourit. C’est long et intime, ça me met presque mal à l’aise. Je zieute sur son iPad, il dessine ces créatures de Miyazaki, des petites noiraudes. Ces bestioles sombres qui sont censées symboliser le mal-être de notre société exploitée par le capitalisme. Je me demande ce qu’elles représentent pour Érik. Ce que ça dit de lui.  Hier, sa compagne est venue lui rendre visite. Une femme chic du bas 9ᵉ, du style à chiner des meubles dans le Perche, et à ne boire que du café italien. Rien qui ne présume un travail à l’usine. N’arrive plus rien à vendre, pas même lui. 

Ma réflexion est interrompue par Katja qui déboule dans la salle, je ne la vois pas mais je devine sa présence, car je reconnais ses pas, et, surtout, ...