« L’homme est un animal suspendu dans des toiles de significations qu’il a lui-même tissées. » — Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures.

Après plusieurs kilomètres de marche le long de la plage nudiste, derrière des dunes de sable, le territoire échangiste s’étendait sur une petite centaine de mètres. 

Il regroupait surtout des individus mâles qui formaient parfois des bandes organisées. Ils patrouillaient, tous les jours, d’un bout à l’autre de cette zone de prédilection, guettant les éventuels couples ou partenaires sexuels qui pourraient s’aventurer sur ce territoire. Ils étaient prêts à se satisfaire de tous ceux qui croiseraient leur chemin. 

Des têtes dépassaient et disparaissaient, à plusieurs reprises, derrière les monticules de sable, suivant des itinéraires similaires et répétitifs. 

Leurs casquettes épaisses et leurs lunettes fumées les aidaient à résister à la chaleur et à l’éclat éblouissant du soleil. 

Cela représentait leur univers tout entier. 

Ils vinrent entre deux récits. 

Ils vinrent lorsqu’ils furent las d’inventer leur vie et d’explorer du territoire. 

Durant les mois d’été, les dunes bouillonnaient d’activités. 

Une plage était comme une poésie : elle n’existait que par sa fréquentation. 

Au loin, lorsqu’ils pensaient avoir repéré un couple qui s’approchait, ils se perchaient sur la pointe de leurs baskets de randonnée, grandissaient le sommet de leur crâne, étendaient leur cou et tiraient d’une main sur leur queue en la branlant de façon saccadée et improvisée. 

Cette position leur conférait une vision quasi panoramique et une très longue portée. Pour conquérir une partenaire sexuelle derrière les dunes, la stratégie se devait d’être différente. 

Ils vivaient dans l’instant. 

Ici et maintenant. 

Ils estimaient qu’ils ne pouvaient rien anticiper, ils ne faisaient que subir les événements.

Il fallait être au bon endroit, au bon moment. 

Ils perdaient rapidement la notion du temps et écoulaient ainsi leur journée-plage. Ils se contenteraient souvent, à la fin de l’après-midi, en épiant un couple dormant, d’une branlette derrière un buisson. 

La grande innovation demeurait que, pour certains de ces individus, la branlette n’était plus une conciliation ; la branlette avait été restaurée à un acte en soi. 

Soudain, les sentinelles masculines pensèrent avoir aperçu quelque chose. Des cris nerveux de primate mirent les dunes en alerte… Branle-bas de combat ! 

Le couple positionna une serviette derrière les dunes ; un carton d’invitation qui signifiait qu’ils étaient disposés à baiser. 

Attirés par le bruit et l’agitation ambiante, tous vinrent voir ce qu’il s’y passait. 

Les mâles s’approchèrent pour examiner la femme de plus près. 

Et comme souvent lorsqu’on ne pense qu’à soi, ils lui voulurent beaucoup de bien. Ils l’encerclèrent progressivement. 

L’idée était qu’ils l’acculent de bites. 

Si elle était disposée à baiser, ils le sentiraient. 

Ils s’approchèrent si discrètement que même le couple le plus vigilant ou le plus craintif pourrait être pris progressivement au dépourvu, comme dans un cul-de-sac. 

Les mâles s’avancèrent d’un piétinement branlant, ne pouvant prendre leur courage que d’une main. 

Ils furent poussés à affirmer leur excitation. Intrépides. 

Mais ils n’écartèrent en rien le partenaire. Sa domination était toute exercée. 

La stratégie semblait basée sur la coopération ; personne ne pouvait se douter qu’ils agissaient conjointement. 

Pourtant, chaque mâle attendait beaucoup pour lui-même, sans ajustement ; on pouvait cependant s’étonner d’en voir tant peiner à bander. 

Ils se donnaient du mal, bien conscients que leur identité était définie par la visibilité de leur pénis. 

Pour se faire voir, ils se devaient de compter sur leur queue ; on assistait à un décrochage assez généralisé. 

Dès les premières secondes, la majorité avaient déjà bel et bien renoncé à la prétention de se faire sucer. 

Une sélection subtile était à l’œuvre, ici. 

Les mâles dépensaient une énergie incroyable pour entrevoir de la chatte – toute une véritable représentation. 

Ils avaient accès à des partenaires sexuelles dont ils ne pouvaient normalement pas s’approcher. S’ils savaient l’exploiter, ils connaîtraient peut-être l’aventure. 

Parce qu’ils n’avaient que ça en tête, leur condition physique se détériorait. Beaucoup étaient évincés, ils poursuivraient leur exil. 

Mais ils étaient opportunistes, aussi patients qu’infatigables. 

Des qualités qui leur valaient, contre toute attente, de pouvoir baiser occasionnellement à cette période de l’année. 

Le couple harmonisait ses murmures. 

L’homme l’enlaça. La femme l’embrassa. 

L’amour rendait tout ça possible. 

« Là, tu vois, ils s’organisent », me dit un des types qui regardait la scène juste à côté de moi.&n...